Atos : «Cessons de vendre nos fleurons les plus stratégiques à des puissances étrangères»
Publié le 02/08/2023 dans les catégories Economie Médias
Tribune collective Le Figaro - publiée le 02.08.23
Atos : «Cessons de vendre nos fleurons les plus stratégiques à des puissances étrangères»
Dans un texte collectif, plusieurs députés et sénateurs Les Républicains s’inquiètent de la vente à un homme d’affaires étranger des activités d'infogérance du groupe Atos. Ils y voient une menace pour la souveraineté nucléaire de la France.
Le 28 juillet dernier, Le Figaro Magazine nous faisait visiter le cœur de la dissuasion nucléaire française dans un site ultra-protégé ou aucune effraction n'a été déplorée : «On la verrait venir de loin» nous rassure-t-on. Ce serait en effet heureux, étant donné que notre indépendance stratégique, le cœur de notre défense et jusqu'à l'esprit des institutions de la Ve république, reposent sur l'autonomie absolue de la dissuasion nucléaire française. Contrairement au Royaume-Uni, la France est le seul pays d'Europe occidentale à disposer d'une autonomie absolue dans l'emploi du feu nucléaire. Cette dernière n'est toutefois permise que par une autonomie, absolue elle aussi, dans le domaine industriel, en protégeant toutes les entreprises qui concourent à créer et maintenir les capacités de dissuasion.
Depuis l'arrêt des essais nucléaires décidé par le président Chirac en 1996, notre pays est exposé au risque de dépendance des supercalculateurs puisque les simulations sont désormais indispensables à la mise au point des armements stratégiques. C'est dans ce contexte qu'un accord de coopération avait été mis en place entre le groupe informatique français Bull, repris en 2014 par Atos, et les instances en charge de notre défense pour éviter le risque d'embargo américain et mettre la France dans une position de dépendance vis-à-vis de son allié. Le retrait des instances militaires de l'Otan en 1966 s'était d'ailleurs en partie décidé sur cette question de l'indépendance nucléaire de la France, Paris refusant -contrairement à Londres– de passer sous les fourches caudines de Washington en ce domaine.
Atos demeure clé pour notre autonomie stratégique actuelle, au travers des capacités de calcul, et de demain, avec les enjeux liés au quantique, doit être absolument maintenue sous le giron français.
Or cette capacité maintenue au meilleur niveau mondial est aujourd'hui grandement menacée par la crise profonde qui touche Atos. L'entreprise a en effet perdu plus de 80% de sa valeur en bourse depuis le départ de Thierry Breton ; en conséquence la société est devenue opéable. Il est ainsi devenu possible, en théorie, d'accéder aux capacités de calcul stratégiques de la France au travers d'une porte dérobée: celle d'une OPA à faible coût. Bien entendu, il ne faut pas minimiser les erreurs stratégiques d'Atos qui ont conduit à la situation actuelle. Toutefois cette entreprise qui demeure clé pour notre autonomie stratégique actuelle, au travers des capacités de calcul, et de demain, avec les enjeux liés au quantique, doit être absolument maintenue sous le giron français.
Ce n'est pas la première fois qu'une capacité de défense est menacée par une opération financière. Souvenons-nous de l'affaire Gemplus en 2008. En avons-nous tiré un enseignement? L'affaire récente Ommic n'est-elle pas similaire? Y aura-t-il une «affaire Atos»? Au-delà de la défense, les exemples de ces opérations et de leurs conséquences ne manquent pas non plus, souvenons-nous d'Alstom et de Technip. Tous ces cas ont donné lieu à de nombreuses analyses, sur le pillage technologique que ces actions boursières engendrent au détriment de la France, pourtant il semblerait que personne n'en tire la seule conclusion logique: il faut protéger à tout prix ces actifs stratégiques.
Dans le cas qui nous occupe, plusieurs opérations ont été déjouées. Fin septembre 2022, un fonds britannique (ICG) avait tenté de prendre le contrôle des activités sensibles d'Atos en s'associant au groupe One Point. En début d'année, Airbus s'était intéressé à l'affaire mais avait été éconduit. Plus récemment c'est un groupe des pays de l'Est qui s'est rapproché d'Atos pour évoquer un plan d'assistance, d'abord centré sur les capacités d'infogérance d'Atos, mais n'excluant pas de récupérer celles liées au calcul et à la cybersécurité. Or ce groupe n'est pas un inconnu. Il s'agit de celui de Daniel Kretinsky qui a très récemment réussi le tour de force de prendre le contrôle du groupe Casino, dernière réussite d'une série d'acquisitions en France depuis quelques années. L'hypothèse de voir un acteur étranger si puissant, s'approcher de nos capacités militaires ultra-sensibles, mérite toute notre attention, d'autant plus qu'il n'est pas un habitué du domaine des TIC, étant plutôt présent jusqu'ici dans l'énergie, les médias et la distribution.
N'est-il pas temps de considérer ce dossier avec plus de sérieux ; la dissuasion est une chaîne qui n'est forte que du plus faible de ses maillons. La plupart des puissances nucléaires l'ont intégré; visiblement pas la France.
Fort heureusement un consortium de la French Tech, portée par les valeurs de l'IHEDN, s'est présenté spontanément au ministère des Armées dès octobre 2022 pour se mettre au service de l'intérêt général dans ce dossier. Le groupe Astek s'est alors rapproché pour l'occasion du français ChapsVision pour présenter une offre de sauvetage commune. Cette offre bénéficie en outre d'une cohérence en termes industriels, Astek étant depuis de nombreuses années un acteur reconnu de l'ingénierie numérique.
Hélas, les conseillers du président d'Atos semblent avoir refusé d'ouvrir le moindre dialogue avec les Français et le gouvernement malgré de nombreuses demandes refuserait de considérer cette offre! Pourquoi? Le risque d'ingérence étrangère sur des systèmes souverains vitaux pour notre défense est pourtant majeur car il est ici question de l'indépendance de notre dissuasion. L'initiative française Astek est bien entendu connue de toutes les autorités concernées, militaires et civiles y compris surtout du président de la République lui-même via le tout-puissant Alexis Kohler ou encore son état-major particulier. Une nouvelle alerte est parvenue au Secrétariat général de l'Élysée lorsqu'un tiers des actionnaires d'Atos a demandé la révocation de son président... sans suite. Selon Astek, en s'associant avec les actionnaires mécontents, il serait donc possible de prendre le contrôle du groupe Atos avec une mobilisation de capitaux limitée à une centaine de millions d'euros!
Alors que la scission d'Atos en deux entités devait soi-disant permettre de sanctuariser les capacités souveraines –au travers de l'entité nommée Evidian– la situation financière d'Atos est aujourd'hui telle qu'il n'est plus si certain qu'Evidian sera protégée. Au contraire même, alors que les activités d'infogérance peinent à attirer des investisseurs, ce sont bien celles de calcul à haute performance et de cybersécurité qui pourraient finalement être le cœur de la vente, celles-là mêmes que la France ne peut accepter de voir passer, même minoritairement, sous pavillon étranger.
Cela n'est-il pas inquiétant, au moment où le président de la République, dans son discours du 24 juillet met en avant la nécessité impérieuse de l'indépendance de la France? Dans le même temps l'on apprend, que c'est le groupe américain McKinsey qui a travaillé sur la séparation d'Atos en deux entités distinctes? De nombreux signaux d'ingérence interrogent et le «en même temps» semble toujours plus difficile à justifier, surtout en regard des enjeux portés par l'avenir d'Atos. Tout cela avec le soutien de l'Élysée?
N'est-il pas temps de considérer ce dossier avec plus de sérieux ; la dissuasion est une chaîne qui n'est forte que du plus faible de ses maillons. La plupart des puissances nucléaires l'ont intégré; visiblement pas la France. Pourtant sur un sujet d'une telle importance, le gouvernement doit informer le parlement ! Dans le cas contraire, faudra-t-il que députés ou sénateurs utilisent leurs propres moyens d'investigation pour protéger notre souveraineté nationale? Nous y sommes prêts!
Les signataires :
Cédric Perrin, sénateur, vice-président de la commission des affaires étrangères et de la défense; Bruno Retailleau, sénateur; président du groupe LR au Sénat; Christian Cambon, sénateur, président de la commission des affaires étrangères et de la défense; François-Noel Buffet, sénateur; président de la commission des lois; Sophie Primas, sénatrice, présidente de la commission des affaires économiques; Philippe Mouiller, sénateur; Laurent Burgoa, sénateur; Pascale Gruny, sénatrice, vice-présidente du Sénat; Marta De Cidrac, sénatrice; Chantal Deseyne, sénatrice; Roger Karoutchi, sénateur; vice-président du Sénat; Thierry Meignen, sénateur; Marc-Philippe Daubresse, sénateur; Jérôme Bascher, sénateur; Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice; Laurence Garnier, sénatrice; Jean-Pierre Vogel, sénateur; Patrick Chaize, sénateur; Hugues Saury, sénateur; Pascal Allizard, sénateur, vice-président de la commission des affaires étrangères et de la défense; Patrick Hetzel, député; Corinne Imbert, sénatrice; Alain Milon, sénateur; Else Joseph, sénatrice; Bruno Belin, sénateur; Stéphane Piednoir, sénateur; François Bonhomme, sénateur; Olivier Rietmann, sénateur; Ronan Le Gleut, sénateur; Vincent Segouin, sénateur; Dominique Estrosi-Sassone, sénatrice; Marie-Pierre Richer, sénatrice; Mathieu Darnaud, sénateur; Laurent Somon, sénateur; Françoise Dumont, sénatrice; Catherine Deroche, sénatrice; Jean-Claude Anglars, sénateur; Ian Boucard, député; Marie Mercier, sénatrice; Jean-Marc Boyer, sénateur; Daniel Gremillet, sénateur; Remi Pointreau, sénateur; Christine; Lavarde, sénatrice Claudine Thomas, sénatrice; Brigitte Micouleau, sénatrice; Louis-Jean de Nicolaÿ, sénateur; Vivette Lopez, sénatrice; Catherine Dumas, sénatrice; Nadine Bellurot, sénatrice; Christophe-André Frassa, sénateur; Anne Chain-Larché, sénatrice; Patricia Demas, sénatrice; Antoine Lefevre, sénateur; Martine Berthet, sénatrice; Alexandra Borchio-Fontimp, sénatrice; Catherine Di Folco, sénatrice; Micheline Jacques, sénatrice; Christian Klinger, sénateur; Max Brisson, sénateur; Valérie Boyer, sénatrice; Anne Ventalon, sénatrice; Raphaël Schellenberger, député; Isabelle Perigault, députée; Arnaud Bazin, sénateur; Isabelle Raimond-Pavero, sénatrice; Marie-Christine Chauvin, sénatrice; Fabien Genet, sénateur; Toine Bourrat, sénatrice; Didier Mandelli, sénateur; Pierre Cuypers, sénateur; Jean Sol, sénateur; André Reichardt, sénateur; Béatrice Gosselin, sénatrice; Jean-Baptiste Blanc, sénateur; Serge Babary, sénateur; Dominique de Legge, sénateur; Jean-François Rapin, sénateur; Cyrille Pellevat, sénateur; Virginie Dubuy Muller, députée; Elsa Shalck, sénatrice; et Stéphane Sautarel, sénateur.