Bilan judiciaire des émeutes : le député Hetzel s’invite au ministère de la Justice pour obtenir des réponses
Publié le 18/04/2024 dans les catégories Justice Médias
Contrôle sur place et sur pièces au ministère de la Justice
Devant l’impossibilité d’obtenir les données statistiques demandées dans la cadre de la gestion judiciaire des émeutes de 2023, Patrick Hetzel, en sa qualité de rapporteur spécial du budget de la Justice, a décidé de se rendre sur place mercredi le 17 avril 2024 afin d’obtenir les informations demandées (Cf. courrier au Directeur des Affaires Criminelles et des Grâces). Il a pu échanger avec plusieurs responsables de cette direction et avoir des informations sur les méthodes de remontées d’informations des parquets vers la chancellerie. Il a obtenu des réponses à certaines de ses demandes (Cf. courrier de la Directrice Adjointe de la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces). Toutefois, il déplore la grande perfectibilité de ce système de remontées d’informations et de son incomplétude. C’est ainsi que l’on peut par exemple noter que les données manquantes à ce jour sont d’une part la nature des poursuites, d’autre part la nature des condamnations et enfin l’exécution des peines. Sans ces informations, il est impossible de mener une évaluation sérieuse de la politique gouvernementale. On ne peut que le déplorer.
Par ailleurs, les chiffres communiqués montrent que sur 1660 condamnations de mineurs en parallèle seules 170 condamnations de parents ont été effectuées. Il y a donc encore un important décalage entre les messages de fermeté du Garde des Sceaux et la réalité de l’action judiciaire puisque ce chiffre de 170 montre clairement que seulement dans un cas sur dix les parents sont condamnés sur la base de l’article L 227-17 du Code Pénal.
Le Figaro - publié le 17.04.2024
Afin d'obtenir des chiffres réclamés en vain depuis des mois, le rapporteur du budget de la Justice a débarqué à la Chancellerie pour effectuer un contrôle sur pièces.
Y aurait-il de l'eau dans le gaz entre le Palais Bourbon et la place Vendôme ? Fait exceptionnel : ce 17 avril, en vertu des pouvoirs spéciaux que lui confère son statut de membre de la Commission des Finances, rapporteur du budget de la Justice, le député LR du Bas-Rhin, Patrick Hetzel, a effectué, dès 10 heures, au ministère de la Justice, un «contrôle sur pièces» pour obtenir des informations relatives à la gestion judiciaire des émeutes de l'été dernier en France qu'il réclame en vain depuis des mois.
Il a été reçu par Valérie Delnaud, la directrice de cabinet du ministre, puis par la directrice adjointe des affaires criminelle et des grâces, Sophie Macquart-Moulin, qui n'avaient d'autre choix que de déférer sa requête, s'agissant de l'exercice de pouvoirs que confère à l'élu une ordonnance de 1958 sur le contrôle budgétaire. Ce sont ces mêmes pouvoirs spéciaux qui ont permis récemment à l'un de ses collègues du Sénat de déterrer les prévisions de déficit alarmantes du Trésor. Le Parlement n'y recourt que lorsqu'il a le sentiment d'être en butte à une forme d'obstruction de l'État.
Avec le président du groupe LR à l'Assemblée, Olivier Marleix, le rapporteur Hetzel a ainsi la conviction que le gouvernement escamote une partie de la réalité du traitement des émeutes dans les juridictions. Il suspecte notamment que l'effectivité des sanctions contre les auteurs et leurs responsables légaux, s'agissant des mineurs, n'ait pas été à la hauteur. Ce n’était pas une démarche inutile, puisque ses interlocutrices magistrates lui ont remis un certain nombre de documents. Parmi les données transmises, il relève que «pour 1.660 mineurs poursuivis, 174 parents ont été condamnés», soit environ un sur dix.
Des courriers restés sans réponse
Dans son courrier à la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), transmis à la veille du contrôle, pour permettre à l'administration de rassembler ses éléments de réponse, l'élu rappelait que le garde des Sceaux, «par une circulaire du 30 juin 2023 relative au traitement judiciaire des violences urbaines, aux procureurs de la République et aux parquets généraux», avait demandé «de lui remonter quotidiennement via la DACG» les «informations concernant les suites pénales données par les juridictions» aux graves événements de juin 2023.
Il déplorait aussi que le député Olivier Marleix, malgré ses courriers à la Chancellerie sur le sujet, en septembre puis octobre 2023, l'un restant sans réponse, l'autre suivi d'une réponse partielle, se soit vu, en quelque sorte, claquer la porte au nez par la place Vendôme. Alors qu'il réclamait légitimement, comme parlementaire, des «éléments (qui) permettent de juger de l'efficacité ou de l'échec de la réponse pénale» à la suite des émeutes. Or, rapporte le député Hetzel concernant son collègue, le gouvernement a refusé de lui communiquer ces chiffres sous prétexte que «le ministère de la Justice ne dispose pas de données à l'échelle du département, en l'absence d'adéquation entre la carte judiciaire et la carte administrative».
Les propres démarches entreprises ensuite par le député Hetzel n’avaient pas davantage été concluantes. «N'ayant toujours pas obtenu le détail demandé, je renouvelle ma demande», insiste-t-il dans sa lettre, visiblement contrarié. Et de poursuivre : «C'est pourquoi je vous informe que je me rendrai par la présente dans vos locaux à la Chancellerie mercredi 17 avril à 10 heures». Son objectif : «obtenir les chiffres détaillés issus des remontées des tribunaux pour comprendre l'impact des émeutes et la réponse pénale associée dans chaque département et bassin de vie», déclare-t-il, obstinément. Il est reparti de la place Vendôme, ce mercredi, avec deux tableaux remplis de chiffres à décrypter, Cour d’appel par Cour d’appel.
Remontées détaillées des tribunaux
S’il réclame les remontées détaillées des tribunaux, c’est, dit-il, pour savoir notamment si la réponse pénale a été homogène. Il désirait ainsi se faire communiquer «pour chaque tribunal», «le nombre de personnes interpellées, le nombre de personnes déférées, le nombre de personnes condamnées».
Les LR, c'est évident, ont jugé suspectes les réticences de l'État à communiquer les chiffres par juridiction. Le diable serait-il dans les détails ? Et pourtant, le gouvernement avait déjà beaucoup communiqué sur les émeutes. Dès le mois de septembre, la Chancellerie avait produit publiquement le compte pénal global des émeutes régulièrement actualisé tout au long de ces derniers mois.
Le courrier du député Hetzel en fait d'ailleurs état : «672 communes touchées dans 95 départements, près de 50.000 émeutiers, et 5000 membres des forces de l'ordre mobilisés pour un coût total d'un milliard». En matière de faits, la Chancellerie a dénombré «1973 atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique, 684 faits de violences à l'encontre des élus et personnes chargées de mission de service public, 2508 bâtiments incendiés dont 273 bâtiments de force de l'ordre, 105 mairies et 243 établissements scolaires».
L’angle mort de l’exécution des peines
Concernant les profils des émeutiers, les informations mises en avant par l’exécutif dépeignaient plutôt des individus relevant d'une délinquance, «d'opportunisme» et trouvant sa source dans «l'influence de groupe», «la curiosité» ou la «recherche d'adrénaline». Mais les députés LR s’interrogent sur ces derniers. Ils ne sont pas certains en effet, que ce soit les plus ancrés dans la délinquance qui aient été interpellés mais sans doute les plus novices. Ce qui donne une image tronquée des émeutes.
Enfin, selon la Préfecture de police de Paris, «une grande majorité des émeutiers interpellés sont des jeunes individus de nationalité française, mais originaires de l'immigration (2e ou 3e génération), principalement du Maghreb ou d'Afrique subsaharienne».
Par ailleurs, «plus de 310 condamnations ont été prononcées au titre de la responsabilité pénale parentale. Cela fait une augmentation de 40%, depuis le premier trimestre 2023». Depuis plusieurs décennies en effet, l'article 227-17 du Code pénal qui fixe la responsabilité pénale des parents était tombé en désuétude. Le voici remis au goût du jour par le prochain texte législatif qui pousse les feux en matière de peine encourue à hauteur de 3 ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende.
Mais voilà, le rapporteur spécial du budget ne veut rien lâcher. Il pourrait même, dans un second temps, réclamer des détails sur le taux d'exécution des peines pour les majeurs et celui des mesures éducatives qui ont été infligées aux mineurs à tour de bras. Ces chiffres sont toujours l'angle mort de la justice. Ce sont pourtant eux qui reflètent le vrai bilan de son action. Car que vaut une peine qui n’est pas exécutée ? À ce stade, le député Hetzel ne les a pas encore obtenus.