Bioéthique : troisième lecture du texte à l’Assemblée nationale
Publié le 11/06/2021 dans les catégories Enseignement Sup & Recherche
Patrick Hetzel fut l’orateur du groupe Les Républicains (LR) pour cette troisième lecture du texte à l’Assemblée nationale. Il est intervenu à la tribune de l’Assemblée nationale lors de la discussion générale pour donner la position du groupe LR sur le texte.
« Monsieur le Président,
Madame et Messieurs les Ministres,
Madame la Présidente de la Commission Spéciale,
Mesdames et Messieurs les Rapporteurs,
Mes chers collègues,
Le 17 février dernier, une Commission mixte paritaire (CMP) s’est tenue à la demande du Premier ministre afin de trouver un accord entre députés et sénateurs sur le projet de loi bioéthique. Notre collègue, Agnès Firmin Le Bodo, Présidente de la CMP, n’a eu besoin que de vingt minutes pour constater l’impossibilité d’une convergence sur ce texte et je reprends ses propos : « les divergences qui ont été exposées témoignent de la vitalité de notre débat démocratique. Elles sont cependant très profondes et nous empêchent de parvenir à un accord. » Les deux chambres, en effet, ont voté en première comme en seconde lectures, des versions très différentes du projet de loi. En octobre 2019 et en juillet 2020, l’Assemblée nationale a voté en faveur de la PMA pour les femmes seules et les couples de femmes, c’est-à-dire l’institutionnalisation par la loi d’enfants sans père, l’autoconservation des gamètes sans motif médical, une filiation nouvelle consistant à inscrire deux mères sur l’acte de naissance d’un enfant, l’autorisation de créer des embryons transgéniques, des embryons chimères ( animal-homme) et des gamètes artificiels ou encore l’introduction d’un motif de « détresse psycho-sociale » pour l’interruption médicale de grossesse (qui serait possible jusqu’à neuf mois).
De son côté, le Sénat, en février 2020 et en février 2021, a limité – et même supprimé en seconde lecture - la possibilité d’une PMA sans motif médical, maintenu la condition d’un motif médical pour l’autoconservation des gamètes, remplacé la filiation fictive envisagée par l’adoption de l’enfant par la conjointe de la mère, réintroduit l’interdiction de la création d’embryons transgéniques, de chimères et de gamètes artificiels et supprimé le motif de « détresse psycho-sociale » pour l’I.M.G. (interruption médicale de grossesse).
Dans ce contexte, le gouvernement, au lieu de retirer le texte a décidé d’une troisième lecture dans les deux chambres. Comme cela ne permettra pas de parvenir à un texte commun tant le clivage est profond, il sait pertinemment que c’est l’Assemblée nationale qui aura le dernier mot. Autant dire que la majorité présidentielle aura alors les mains libres : faisant fi du travail du Sénat, de l’opposition de nombreux députés aux mesures les plus clivantes, des conclusions des Etats généraux de la bioéthique organisés en 2018 ou encore de très récents sondages comme celui de l’IFOP de ce jour qui mettent en lumière le souhait d’une large majorité de Français d’appliquer un principe de précaution en matière de bioéthique et que soient bien posées des limites aux recherches qui mettent en cause l’intégrité de l’être humain (63% des personnes interrogées parmi celles qui se déclarent en soutien à la République en Marche).
Non content de ses manœuvres, l’exécutif fait ainsi preuve d’une absence catastrophique de sens des priorités et des responsabilités. Actuellement, les Français vivent d’immenses difficultés et la crise sanitaire n’est pas terminée. Loin de là. Ses conséquences sont largement devant nous : le plan de relance est à revoir, la pauvreté a considérablement augmenté, des secteurs entiers de notre économie et de notre société sont laminés, près de 10% des élèves ont décroché depuis le premier confinement, les étudiants et les nouveaux diplômés sont au bord du désespoir … A tout cela s’ajoute une situation d’insécurité préoccupante, ainsi que des actes récurrents de terrorisme. La gravité de l’état de la France implique des mesures d’urgence et d’ampleur, pour lesquelles le Parlement est incontournable.
L’embouteillage législatif est par conséquent impressionnant : projets de loi relatifs à l’état d’urgence sanitaire, à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, au respect des principes de la République, mais aussi débats et votes sur les très nombreuses ordonnances liées à la crise afin de permettre le contrôle parlementaire minimal qui s’impose en la matière.
Le gouvernement veut passer en force sur ce projet de loi bioéthique, ce qui est inconcevable pour un sujet aussi sensible. Pourquoi parler de passage en force ? Actuellement les Français regardent ailleurs et c’est légitime. Pourtant, face aux possibilités vertigineuses des biotechnologies, ces débats les concernent au premier chef. Il s’agit de savoir comment utiliser ces biotechnologies tout en respectant la dignité de la personne humaine. Alors que la pandémie nous rappelle plus que jamais notre fragilité et que beaucoup se mobilisent légitimement sans compter pour protéger l’environnement et la biodiversité, ne devrions-nous pas être beaucoup plus soucieux de l’espèce humaine ?
Le changement sociétal profond que renferme ce texte implique de prendre le temps, de construire un minimum de consensus, loin des postures idéologiques et surtout cela n’est pas compatible avec un pays qui est en état d’urgence sanitaire ou qui est juste en train d’en sortir progressivement. En outre, les projets de loi étant d’initiative gouvernementale, les ministres concernés sont tenus de suivre les débats et de répondre aux interrogations des parlementaires… ce que, précisément, Olivier Véran, ministre de la Santé, a été incapable de faire lors de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale puis au Sénat car mobilisé par la gestion de la crise sanitaire.
Ce projet de loi doit être également revu à l’aune de cette crise sanitaire. La nécessité de confiner à trois reprises est notamment venue des difficultés et du manque de moyens de notre système de santé. Ministres, médecins et chercheurs doivent en priorité s’occuper de la santé des Français. La tâche est immense et incompatible avec la satisfaction de désirs individuels qui n’ont aucun rapport avec leur mission de soins et de préventions des maladies.
Si j’insiste autant sur le passage en force c’est que je considère que ce texte de loi n’a pas permis d’aller au fond de certaines graves questions et interrogations que nous avons. Cela est lié au mélange de deux dimensions très différentes dans ce texte : la PMA qui est une question sociétale d’une part et les questions bioéthiques d’autre part. Non seulement, nous n’avons pas pu avoir un débat juridique de fond pour la PMA mais par ailleurs, le gouvernement cherche à diluer les questions bioéthiques dans un débat scientiste où la loi devrait se réduire à rendre possible en matière de recherche ce que rendrait possible les biotechnologies.
Lors des lois précédentes, sans atteindre l’unanimité, les lois de bioéthiques françaises étaient montrées en exemple, notamment à l’étranger, car elles étaient élaborées autour d’un consensus. Le fait même que la majorité se soit mise, dès le départ, dans une posture de non recherche de consensus, est et sera une tache indélébile car contraire à ce que doit être une loi de bioéthique.
Et vous allez même créer une rupture supplémentaire avec cette loi : ne pas douter car ne pas chercher à répondre un minimum aux interrogations de l’opposition et de certains députés de la majorité, c’est empêcher cette loi de bioéthique d’être partagée par tous. Or, une loi de bioéthique devrait contribuer à faire Nation, pas à accentuer les clivages, pas à créer des tensions. Elle devrait être source d’apaisement car elle devrait rassurer par les garde-fous qu’elle établit ou maintient. Pour le moment, c’est exactement le contraire qui se passe. Cette loi inquiète, elle nous conduit à un moins-disant éthique. Là où il y avait autorisation, on met une simple déclaration, là où l’on avait interdit, on rend possible sans savoir ce qui va se passer. Les lois de bioéthiques devraient pourtant être des lois d’équilibre. Elles devraient trouver l’équilibre juste et légitime qui permet aux chercheurs d’effectuer des travaux de recherche tout en permettant à la société de garder le contrôle de ce qui se fait dans les laboratoires de recherche, cela d’autant plus lorsque l’on mobilise pour cela des financements publics. Ainsi, il serait sage que l’on applique pour les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines au moins les règles que l’on applique pour encadrer les recherches sur l’animal-vivant.
Une loi de bioéthique doit protéger, prévoir des garde-fous éthiques justement. Ce projet de loi pose bien plus de questions qu’il n’apporte de réponse. Si le questionnement en la matière est légitime, il ne faut pas qu’il se transforme en flou et en laisser faire. Bien au contraire. Mais comble de tout cela, en matière sociétale, alors qu’elle prétend supprimer des discriminations, cette loi va hélas en créer de nouvelles.
Pour toutes ces raisons, nous invitons l’exécutif à la raison et au respect des Français. Ces débats sociétaux et bioéthiques doivent être remis à plus tard et ne pas se dérouler durant une période d’état d’urgence. Et puisque nous sommes à un an de la présidentielle, laissons la place à un vrai débat démocratique en 2022. Les candidats qui le souhaitent pourront alors, officiellement cette fois-ci, inscrire ou non la PMA « pour toutes » et leur volonté de reconnaître la GPA dans leurs programmes en vue d’un vrai débat citoyen et politique. Cette clarté et cette transparence sont le seul moyen de parvenir à un large consensus sur des questions sensibles qui nous dépassent tous. »
Patrick Hetzel a également, au cours de la nuit de mercredi à jeudi, donné l’explication du vote final de son groupe parlementaire sur le texte.