Budget de la Justice : rapporteur spécial, Patrick Hetzel présente les conclusions de son rapport budgétaire
Publié le 28/10/2022 dans les catégories Justice
Dans le cadre des débats budgétaires en séance plénière de l’Assemblée nationale, en sa qualité de rapporteur spécial, Patrick Hetzel est intervenu pour présenter les principales conclusions de son rapport budgétaire.
Voir les vidéos ci-dessous : intervention en commission des lois le 25.10.2022 et intervention dans l’hémicycle le 27.10.2022.
« Madame la Présidente, Monsieur le Ministre, Monsieur le Président de la Commission des Finances, Mes chers collègues,
Ce budget pour 2023 semble traduire les premières conséquences que le ministère entend tirer des recommandations formulées par le comité des États généraux de la justice en juillet dernier.
Nous pouvons nous en féliciter. Toutefois, derrière des effets d’annonce, je tenterai de vous démontrer que la réalité est hélas bien plus complexe et ambigüe. Si le budget global de la mission augmente, il est tout juste dans la moyenne de l’augmentation globale du budget de l’Etat, ni plus ni moins. Et si vous déduisez l’inflation, vous vous apercevez que l’augmentation réelle n’est vraiment pas à la hauteur des enjeux. Alors, Monsieur le Ministre, vous allez évidemment tenter de nier mais les faits sont têtus.
S’agissant de la justice judiciaire :
Il convient de rappeler que les difficultés structurelles des juridictions sont considérables. À titre d’exemple, le taux de vacance des postes de greffiers s’établit à 7,2 %, soit 2,7 points de plus qu’en 2019. De plus, les cibles fixées en matière de délais de traitement des affaires civiles repartent à la hausse.
La Première ministre a annoncé, lors de son discours de politique générale, la création de 1 500 postes de magistrats sur cinq ans. 200 ETP supplémentaires de magistrats sont prévus par le projet de loi de finances pour 2023 c’est-à-dire que l’essentiel des créations de poste sera pour plus tard. Sans compter que le ministère reste dans l’ambiguïté : à quel moment ces postes seront ils opérationnels, 2023 ou 2025 ?
De plus, Monsieur le Ministre, vous avez annoncé une revalorisation à hauteur de 1 000 euros de la rémunération des magistrats à partir d’octobre 2023. Cette dernière prendra la forme d’une hausse des primes forfaitaires et modulables versées aux magistrats. Cette seule mesure ne résoudra pas la question essentielle de l’attractivité de la profession !
Monsieur le Ministre, vous avez aussi à faire face à la lassitude des greffiers. Vous avez certes annoncé une augmentation des rémunérations sur trois ans toutefois les motifs de grogne des greffiers restent nombreux. Ainsi certains représentants syndicaux des greffiers m’ont indiqué qu’ils considéraient que vous leur faisiez un numéro de poker menteur et que vous étiez le fossoyeur des métiers du greffe. Que leur répondez-vous ?
Le Conseil d’Etat vous a aussi enjoint de publier un décret encadrant la numérisation des dossiers administratifs des magistrats afin de protéger enfin la confidentialité de ces données. Je sais bien que le cordonnier n’est pas toujours le mieux chaussé toutefois cela prouve que votre ministère est encore bien loin d’être le ministère du droit, particulièrement à l’égard de ses personnels.
Et il serait anormal que je ne vous parle pas de Portalis, dont l’objectif est de dématérialiser toute la procédure civile et qui continue de patiner. Vous avez déjà englouti plusieurs dizaines de millions d’euros sur ce projet et la dépense globale sera d’au moins de 80 millions d’euros. Heureusement que vous voulez mettre le paquet sur le numérique.
S’agissant de l’administration pénitentiaire :
En dépit de la livraison de nouvelles places de prison, la population carcérale continue de progresser bien plus vite : le taux d’occupation des places en maison d’arrêt pourrait atteindre plus de 130 % en 2023. Dans ces conditions, comment espérer une amélioration des conditions de détention ?
Le projet de loi de finances prévoit la création de 809 ETP. Encore une fois, il convient de souligner la réalité de la situation. Ces postes concernent majoritairement des personnels de surveillance, pour lesquels le schéma d’emplois est hélas systématiquement sous exécuté, c’est-à-dire que beaucoup de postes ne sont pas pourvus.
Des moyens supplémentaires seront en outre alloués aux bracelets anti rapprochement. Néanmoins, de nombreux couacs ont été répertoriés sur ces outils, ce qui a conduit le ministère à changer de prestataire en 2022. Cet exemple montre qu’en dépit de moyens supplémentaires, le pilotage fait toujours défaut. Plusieurs magistrats m’ont signalé des remontées du terrain très inquiétantes : ils parlent de victimes stressées parce que le dispositif sonne intempestivement. Ils y ont donc moins recours que nécessaire : le président du tribunal judiciaire de Paris parle de dix bracelets attribués en raison des failles techniques. Là encore, que comptez-vous faire pour vous assurer que cela fonctionne ?
S’agissant de l’article 44 du projet de loi de finances :
Il nous est proposé de prolonger de deux ans l’expérimentation rendant obligatoire une tentative de médiation préalable à la saisine du juge pour certaines affaires familiales.
Sur le principe, je suis favorable à cette extension. Toutefois, je dois signaler que ce serait la troisième fois que nous prolongerions cette expérimentation et que selon les informations dont nous disposons, la CNAF n’a toujours pas donné son accord pour participer à son financement. Nous nous prononçons donc sur un article sans savoir quelle en sera exactement la portée !
Enfin, Monsieur le Ministre, permettez-moi de citer des acteurs du terrain judiciaire. Récemment, dans ma circonscription, lors de l’audience de rentrée, la Présidente et la Procureure du Tribunal judiciaire de Saverne, ont dressé un état des lieux. Je voudrais les citer. Ainsi, Mme la Présidente dit : « Nous sommes en situation de plein emploi « théorique ». L’équilibre demeure fragile et du côté des greffes, la situation est plus que délicate. Nous sommes en sous-effectif chronique avec des postes non pourvus nous obligeant à prioriser certains services et de ne traiter que les urgences pour d’autres ». A cela, Mme la Procureure ajoute, je la cite : « Le mérite de tous est grand car la justice est le seul service public à devoir absorber chaque année, dans les faits, à moyens constants, une quantité énorme de réformes et ce dans tous les domaines."
Pour conclure, tous ces exemples mettent en lumière et que sans pilotage satisfaisant de ces moyens supplémentaires, la justice ne pourra sortir durablement de la crise qu’elle traverse. Beaucoup reste donc à faire et jusqu’à présent, les résultats n’ont pas été satisfaisants.
Monsieur le Ministre, vous l’aurez compris, la justice de terrain, celle du quotidien, est très éloignée de ce que vous venez de nous présenter. Si vous souhaitez dialoguer efficacement avec le Parlement, il faut que vous acceptiez enfin de mettre les problèmes sur la table. Et je terminerai par un exemple qui est très parlant. Il faut simplifier le code de procédure pénale. La police judiciaire est exsangue et elle a besoin d’être encadrée par le parquet. Que comptez-vous faire en la matière ? Et pourquoi n’intervenez -vous pas pour défendre la police judiciaire ? J’espère que vous accepterez de répondre sur le fond. Je vous remercie. »