Budget justice : trois points d’alerte et d’inquiétude majeurs
Publié le 02/11/2020 dans les catégories Justice
Intervention dans l’hémicycle de Patrick Hetzel, comme rapporteur spécial de la mission Justice, au moment de la discussion générale du budget 2021 de la mission Justice.
« Monsieur le Président, Monsieur le Ministre,
Monsieur le rapporteur général, Mes chers collègues,
En 2021, la mission Justice bénéficiera d’un peu plus de 12 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et de 10 milliards d’euros en crédits de paiement (CP). Contrairement à l’année dernière, le projet de loi de finances pour 2021 respecte cette année la trajectoire budgétaire prévue dans la loi de programmation et de réforme pour la justice. Mais cette augmentation n’est rien d’autre qu’un rattrapage budgétaire contrairement à ce que veut nous faire croire Monsieur le Ministre. L’année dernière, je vous le rappelle, mes chers collègues, la loi de finances pour 2020 prévoyait un budget inférieur de 115 millions d’euros à la programmation 2018-2022, qui venait pourtant d’être adoptée.
Le projet de loi de finances prévoit un schéma d’emplois de + 1 500 équivalents temps plein (ETP), qui dépasse légèrement le chiffre prévu dans la loi de programmation. Le Gouvernement a par ailleurs annoncé qu’il souhaitait renforcer la justice de proximité.
L’ensemble des programmes de la mission voient leurs moyens budgétaires et humains progresser. Néanmoins, l’efficacité d’une politique publique ne tient pas uniquement à l’importance des crédits et des emplois dont elle dispose : encore faut-il que l’augmentation des moyens s’accompagne d’une amélioration significative des performances du ministère de la justice et de la manière dont ces moyens sont concrètement alloués et déployés.
À ce titre, je crois nécessaire de soulever trois points d’alerte et d’inquiétude majeurs.
Concernant la justice judiciaire :
Le « bleu budgétaire » confirme l’allongement des délais de jugement des juridictions. Ce n’est pas une surprise, et j’alerte sur ce point depuis plusieurs années maintenant. Plus que jamais, il est indispensable et urgent que le ministère de la justice se saisisse pleinement des moyens qui lui sont octroyés pour réduire l’engorgement des juridictions de notre pays.
S’agissant de l’administration pénitentiaire :
Celle-ci se voit confier 4,3 milliards d’euros en CP et 6,3 milliards d’euros en AE. Il s’agit, bien évidemment, de poursuivre le plan de création de 15 000 nouvelles places dans les prisons d’ici 2027, dont 7 000 d’ici 2022. Toutefois, là encore, mes chers collègues, tout n’est pas qu’une question de moyens. Les derniers exercices budgétaires ont montré la difficulté du ministère de la justice à consommer l’intégralité des crédits prévus pour ses investissements immobiliers. C’est donc avant tout le pilotage du « plan prisons » qu’il convient d’améliorer. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à émettre des doutes sur ce point. Le secrétariat général pour l’investissement (SGPI), qui est, comme vous le savez, chargé de réaliser des contre-expertises sur les grands projets d’investissement pour le compte du gouvernement, émet lui-même un avis réservé sur la réalisation du « plan prison » – je dis bien : un avis réservé. Tout cela est inquiétant et témoigne d’un certain recul dans la lutte contre la surpopulation carcérale.
Enfin, concernant le renforcement de la justice de proximité :
Le Gouvernement a annoncé une enveloppe de 200 millions d’euros et 950 emplois fléchés pour lutter contre la délinquance du quotidien et rapprocher la justice des justiciables. La mesure est bienvenue. C’est d’ailleurs cette ligne que j’avais défendue lors des débats sur la loi de programmation et de réforme pour la justice. Toutefois, il faut que ces moyens soient mis au service d’une réelle justice de proximité. Cela suppose l’affectation d’au moins un nouveau magistrat dans chaque tribunal judiciaire, pour lutter contre la tendance à l’éloignement de la justice dans les territoires ruraux et garantir la présence d’un juge d’instruction à temps plein dans chaque tribunal judiciaire. Or, rien ne le garantit aujourd’hui. Il faudra que le Gouvernement s’y engage, sous peine de remettre en cause la parole de l’État.
J’ai maintenant 4 questions très précises à vous poser, Monsieur le Ministre :
- quel est le taux de vacances chez les greffiers ?
- vers quoi va être fléché l'augmentation annoncée de l'Aide juridictionnelle ?
- l'augmentation des crédits vers le plan prison, qui a déjà pris de retard en 2020, est-elle soutenable?
- et enfin, quel est le taux de vacances chez les surveillants pénitentiaires ?
Pour conclure, je voudrais insister sur le fait que contrairement à ce que disent certaines gazettes, il n’y a pas d’effet « Dupont-Moretti » sur le budget de la mission justice. Mes points d’alerte sont suffisamment importants pour que je me vois contraint de proposer un vote contre ce budget. Je vous remercie ».