Carte Vitale biométrique
Publié le 04/12/2020 dans les catégories Santé
Au nom du groupe Les Républicains, Patrick Hetzel a défendu la proposition de loi adoptée au Sénat concernant la mise en place d’une carte Vitale biométrique :
« Monsieur le président, Monsieur le ministre, Madame la présidente de la commission des affaires sociales, Mes chers collègues,
Nous avons achevé cette semaine l’examen du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2021, qui entérine un déficit pour 2020 de plus de 46 milliards d’euros pour les régimes obligatoires de base et le fonds de solidarité vieillesse. C’est abyssal et les prévisions pour les années à venir sont tout aussi sombres. Jamais, d’ici 2024, nous ne retrouverons un déficit inférieur à 20 milliards d’euros, sauf à prendre des mesures d’ampleur. L’OCDE a démontré par une étude cette semaine que la France demeurait le premier pays au monde en matière de prestations sociales, à hauteur de 31 % du PIB en 2019, soit plus de 680 milliards d’euros. Pourtant, nous ne pouvons que constater l’augmentation du taux de pauvreté, les difficultés structurelles de notre système de soins, l’inégalité rampante dans l’accès aux professionnels de santé sur tout le territoire notamment en ruralité.
Comment expliquer ce paradoxe français : nous dépensons collectivement un tiers de notre richesse nationale sans accompagner efficacement nos concitoyens ?
Une partie de la réponse se trouve dans la fraude aux prestations sociales. C’est la conclusion à laquelle parvient le rapport de la commission d’enquête que j’ai eu l’honneur de présider et que notre collègue Pascal Brindeau a rapporté. Mais c’est aussi la conclusion du rapport que notre collègue Carole Grandjean, a remis au Gouvernement l’année dernière avec la sénatrice Nathalie Goulet.
C’est encore la conclusion du rapport que la Cour des Comptes a remis au Gouvernement en septembre dernier. Bref, c’est la conclusion évidente qui s’impose étude après étude, et dont le Gouvernement a refusé jusqu’ici de prendre la pleine mesure.
Dans le spectre de l’ensemble des fraudes aux prestations sociales, la plus insupportable est sans doute la fraude à l’assurance maladie. A l’heure où de nombreux Français repoussent leur consultation médicale, à l’heure où les soignants doivent parfois établir une priorité entre deux patients, il est simplement intolérable que des fraudeurs puissent passer entre les mailles du filet pour bénéficier de soins dont ils n’ont souvent pas besoin, quand ce n’est pas simplement pour se lancer dans du trafic de médicaments.
Quelle est la part comptable de cette fraude ? Selon les estimations particulièrement conservatrices menées par la Caisse nationale d’assurance maladie, les fraudes détectées s’élèvent à près de 300 millions d’euros en 2019. On est bien loin des estimations de la Cour des comptes, qui estimait en 2010 le montant du total des fraudes aux prestations sociales à un minimum de 2 milliards d’euros.
D’où vient cet écart ? La fraude à l’assurance maladie se serait-elle soudainement résorbée, alors que les efforts menés les années précédentes sont loin de suffire ? Hélas, non. L’explication vient avant tout de ce que, en matière de fraude aux prestations d’assurance maladie, nous évoluons dans une véritable terra incognita, ce qu’a déploré l’ensemble des rapports que j’ai eu l’occasion de citer. La Cour des Comptes, dans son rapport de septembre dernier, s’étonnait encore de ce que le ministère des Solidarités et de la Santé s’obstinait à ne pas prescrire à la Cnam une estimation des fraudes aux prestations d’assurance maladie. Rien de plus facile, pour ne pas résoudre un problème, que d’éviter de le quantifier. On ne peut pas accuser le Gouvernement de mener une politique du chiffre sur ce sujet : il n’y a ni chiffre, ni politique !!!
La fraude aux cartes Vitale, qui constitue l’un des points saillants de l’ensemble des fraudes à l’assurance maladie, n’échappe pas à ce flou artistique généralisé, quand ce n’est pas tout simplement à une valse-hésitation à laquelle nous assistons. Sur ces deux dernières années, les estimations du nombre de cartes surnuméraires ont connu pas moins de 5 approximations différentes, dont deux issues de la même source, à savoir la direction de la sécurité sociale. Ces chiffres pourraient donner le tournis, alors qu’ils varient entre 609 000 et 2,5 millions.
On nous a opposé en commission, et je crois que nous aurons encore le débat en séance, que cette fraude ne coûterait pas plus de 11 millions d’euros, qu’il s’agirait en quelque sorte d’une vue de l’esprit. Circulez, il n’y aurait rien à voir…
La commission d’enquête que j’ai présidée a néanmoins réussi à déterminer que 1,8 million de cartes Vitale actives surnuméraires étaient en circulation. Si seule la moitié de ces cartes était utilisée pour satisfaire la consommation moyenne de biens et de dispositifs de santé par Français, la fraude pourrait s’élever à plus de 2,5 milliards d’euros. C’est un cas d’école, mais nous ne saurions ignorer ce problème plus longtemps. Les débats en commission ont d’ailleurs permis de confirmer que certains de nos collègues avaient été directement confrontés à des tentatives de fraude aux cartes Vitale dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions médicales.
Aujourd’hui et plus que jamais, nous devons donc redoubler d’efforts pour sécuriser notre système de protection sociale mais aussi sauvegarder les principes qui se trouvent à son fondement. Tel est l’objectif poursuivi par la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.
Dès lors, peut-on encore s’offrir le luxe de considérer qu’il s’agit d’un problème marginal, lorsque notre système de protection sociale est ainsi privé de plusieurs milliards d’euros chaque année et alors-même que les comptes sociaux sont en train de plonger ? Peut-on parler d’un non-sujet, lorsque le pacte de confiance qui lie les assurés au système de santé est ainsi mis à mal par des fraudeurs qui s’affranchissent des règles, et profitent indument de prestations sociales financées le contribuable ?
Je crois que minimiser ainsi les effets de la fraude aux prestations sociales ne fera qu’en aggraver la portée. Il faut bien au contraire prendre l’entière mesure du phénomène et agir en conséquence ; et c’est précisément ce à quoi, avec le groupe Les Républicains, nous vous proposons de nous atteler ensemble par cette proposition de loi qui institue, à titre expérimental, une carte Vitale biométrique.
La carte Vitale possède une forte dimension symbolique pour l’ensemble de nos concitoyens, puisqu’elle ouvre la porte à la prise en charge et au remboursement des frais de santé par l’assurance maladie. Mais c’est aussi ce qui en fait un outil particulièrement exposé à la fraude.
La fraude à la carte Vitale se présente sous différentes formes :
- via le recours à des cartes prêtées, volées ou perdues, en usurpant l’identité du titulaire ;
- ou via l’utilisation d’une même carte pour faire le tour des prestataires de santé et obtenir gratuitement plusieurs fois les mêmes médicaments.
Ces détournements permettent aux fraudeurs de bénéficier indûment de prestations d’assurance maladie ou d’obtenir une meilleure prise en charge des frais de santé. Bien souvent, il s’agit de bandes organisées qui se procurent, par le biais de la carte Vitale, des produits de santé qu’ils revendent ensuite en territoire étranger.
Contre ce phénomène, la proposition de loi déposée l’année dernière au Sénat prévoit l’expérimentation de la carte Vitale biométrique, l’objectif étant d’avancer sur la voie de l’authentification et de l’individualisation des droits.
Le recours à l’outil biométrique est particulièrement indiqué : il fait ses preuves sur notre sol depuis la mise en place du passeport biométrique, en permettant l’identification et l’authentification des individus. Le stockage numérique des empreintes digitales représente aujourd’hui la meilleure garantie d’un versement ou d’un remboursement sécurisé des prestations d’assurance maladie. Il est donc pertinent de l’expérimenter dans le cadre de la lutte contre la fraude.
Nos collègues du Sénat, dont on ne peut pas mettre en cause l’attachement aux droits et libertés fondamentaux, se sont attachés à améliorer le texte dans le sens d’un respect complet des textes encadrant l’usage des données personnelles. Qu’il s’agisse de la loi « Informatique et libertés » de 1978 ou du Règlement général de protection des données, plus récemment mis en œuvre dans l’ensemble de l’Union européenne, l’ensemble des données des assurés sera bien protégé selon les plus hauts standards.
Je tiens également à rassurer mes collègues quant au coût du dispositif : c’est justement parce le format de l’expérimentation est proportionné et qu’il est facile à mettre en place qu’il a été défendu par la commission des affaires sociales du Sénat.
La majorité nous a opposé en commission l’existence d’une expérimentation que mène actuellement le Gouvernement sur deux départements, et qui sera prochainement étendue à une dizaine d’entre eux. Ce dispositif comprendra un premier enrôlement biométrique et doit permettre de supprimer l’écart actuel entre la fin des droits et la désactivation de la carte. Nous en prenons bonne note, mais l’expérimentation que nous proposons diffère de la dématérialisation en deux points majeurs :
en premier lieu, cette dématérialisation, qui s’appuiera sur un support tel qu’une tablette ou un smartphone, ne préviendra en rien la fraude dont je viens de vous parler. Il n’est pas difficile d’imaginer que ce qui se passe aujourd’hui avec le vol, la perte et le prêt frauduleux de cartes se passera tout autant demain avec des fichiers numérisés, voire pire en cas de piratage ;
en second lieu, cette expérimentation démontre que le Gouvernement part du principe que l’ensemble des assurés disposent d’un support numérique… C’est loin d’être le cas !
L’intérêt d’expérimenter la carte Vitale biométrique est donc réel : les deux dispositifs sont très différents, et une fois qu’ils seront évalués, nous pourrons juger du modèle le plus adapté pour sécuriser l’usage de la carte Vitale.
Mes chers collègues, j’ai bon espoir et je veux croire, à l’heure où notre système de protection sociale doit être courageusement défendu, que nous serons rassemblés autour de la volonté de renforcer notre politique de lutte contre la fraude aux prestations sociales. »
Hélas, le gouvernement et sa majorité n’ont pas voulu de cette proposition, préférant jouer l’autruche, en feignant d’ignorer la fraude, ce qui rompt notre pacte social républicain.