60ème anniversaire de la signature du Traité de l’Élysée

Publié le 23/01/2023 dans les catégories Europe

Dimanche 22 janvier 2023 à l’Assemblée Nationale à Paris : intervention de Patrick Hetzel, orateur du groupe Les Républicains lors de la séance plénière de l’Assemblée Parlementaire Franco-Allemande.

"Mesdames les Présidentes,

Chers collègues,

Nous voilà réunis en ce 22 janvier 2023 pour célébrer le 60ème anniversaire de la signature du Traité de l’Elysée par le chancelier Konrad Adenauer et le Président Charles de Gaulle. Ce fut alors un acte politique très fort : sceller la réconciliation entre nos deux Nations européennes qui, au cours de l’histoire, se sont si souvent combattues. Tous deux avaient très douloureusement vécu la Seconde-Guerre Mondiale et savaient qu’il faudrait construire une paix durable basée sur des idéaux démocratiques afin d’empêcher tout retour du totalitarisme en Europe. Il s’agissait alors d’établir un dialogue véritable et courageux, basé sur la confiance, entre nos deux pays et à tous les niveaux afin de construire l’avenir.

Il convenait d’apprendre du passé afin de ne plus reproduire dans le futur les mêmes erreurs. Il nous revient aujourd’hui de porter cet héritage et surtout de le faire fructifier car le rôle d’un anniversaire est généralement de faire un bilan du passé pour ensuite envisager le présent et le futur.

Et c’est là que notre assemblée parlementaire franco-allemande peut jouer un rôle essentiel. Car n’oublions pas qu’elle a elle-même été portée sur ses fonts baptismaux par les présidents Schäuble et Ferrand, à un moment où la relation entre les gouvernements français et allemands patinait et où il semblait important que les assemblées parlementaires de nos deux pays puissent prendre le relais pour développer un véritable espace d’échange et de construction. Tel est encore aujourd’hui notre rôle et notre mission.

En effet, il serait illusoire de se laisser porter par des messages incantatoires et décalés. Il faut qu’entre amis, on se dise les choses : depuis quelques mois, les mésententes s’accumulent entre les gouvernements français et allemands. Et d’ailleurs, les signes de divergence et d’agacement mutuel se multiplient. Les 60 dernières années d’amitié franco-allemande n’ont certes pas toujours été paisibles mais nous sommes actuellement à un moment critique. Il nous revient de le surmonter. Je vais évidemment développer dans quelques instants des éléments de fond à ce sujet, toutefois je voudrais poser un principe de base qui devrait nous rassembler. Gouverner, aussi bien en Allemagne qu’en France, c’est prévoir et anticiper. Or, à force d’avoir les yeux rivés sur le guidon, si vous me permettez cette métaphore cycliste, nous avons d’une part collectivement perdu le sens de l’anticipation et d’autre part l’humilité de construire et de prendre des décisions sur le moyen-long terme pour lesquelles nous ne récolterons pas personnellement les fruits politiques.

Je ne reprocherai jamais à un collègue allemand de défendre l’Allemagne, ni d’ailleurs à un Français de défendre la France, toutefois il faut que nous soyons capables d’être visionnaires et de conserver le cap pour garder à l’esprit nos intérêts sur le long terme. C’est là où Adenauer et De Gaulle étaient visionnaires. Ils avaient compris qu’il y avait un impératif existentiel pour nos deux Nations de se réconcilier et surtout de trouver les voies et moyens de construire une partie de destinée commune au sein du continent européen. C’est avec cet esprit qu’il nous faut plus que jamais renouer. Berlin et Paris ont la responsabilité de dialoguer en confiance, même et surtout, lorsque certains de nos intérêts divergent. Et il faut surtout garder le cap des intérêts vitaux pour nos deux Nations.

C’est sans doute la crise énergétique qui a, ces derniers mois, le plus révélé les tensions entre nos deux pays. Reposant, en partie sur le gaz pas cher en provenance de Russie et le développement des exportations vers la Chine, les fondamentaux de l’économie allemande ont tremblé. L’Allemagne, tout naturellement a voulu à la fois diversifier et sécuriser ses approvisionnements en énergie dans le monde. Ce qui a évidemment jeté un froid avec la France.

Par ailleurs, nous avons parfaitement conscience que la gestion de nos finances publiques et de notre dette souveraine ont le don d’agacer Outre-Rhin où l’opinion publique pense que décidément les Français sont des cigales là où les Allemands seraient des fourmis. Et nous connaissons tous la leçon de la fable : la fourmi n’a nullement envie de s’occuper de la cigale car cela reviendrait à récompenser le vice au lieu de la vertu. Mais nous devons collectivement dépasser ces différences de perspectives pour recréer les conditions d’un dialogue autour de nos intérêts. En d’autres termes, il est évident et normal que chaque pays ait et défende ses intérêts nationaux mais nous devons retrouver le chemin d’un dialogue sincère sur ces questions. Ces derniers mois, on a l’impression que la France fuit l’Allemagne et inversement.

Ne soyons pas naïfs, sur beaucoup de sujets, qu’ils concernent l’économie, la défense, la politique énergétique, le commerce international ou encore la géopolitique, nos deux pays partent souvent de points de vue opposés.

Le groupe parlementaire Les Républicains, au nom duquel je m’exprime, pense que plus que jamais nous devons agir à deux niveaux en matière franco-allemande. Il s’agit d’une part de travailler sur des sujets très concrets qui concernent le quotidien de nos concitoyens entre la France et l’Allemagne (fiscalité, transports, échanges universitaires, partenariats entre chercheurs, etc.) notamment dans les espaces transfrontaliers comme celui du Rhin supérieur et d’autre part sur des sujets stratégiques de moyen-long terme comme justement l’économie, la politique énergétique ou la défense par des projets industriels véritablement communs.

Disons-le clairement : actuellement, côté Français, nous nous impatientons au sujet d’une réforme du marché européen de l’électricité que nous jugeons désormais vitale et indispensable pour assurer la survie de la France et nous avons l’impression que l’Allemagne procrastine. Chers collègues, nos devons avancer cette question !

Et je ne voudrais pas finir mon propos sans mentionner un dossier stratégique dont nous devons nous emparer : quelle réponse collective pourrons nous apporter au plan américain de réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act) dont les subventions massives menacent fortement la compétitivité de nos industries allemande et française ? Serons-nous capables de construire, sur un tel sujet, une réponse commune, efficace et rapide ?

Vous l’aurez compris, nous pensons que l’Allemagne et la France doivent remettre l’ouvrage sur le métier, dans l’esprit même du traité de l’Elysée, afin que l’une et l’autre, par le dialogue commun, puissent rester maitresses de leur destin. Nous le devons aux générations futures. Ce que nos ainés nous ont transmis, en construisant la relation franco-allemande, vaut de l’or, nous n’avons nullement vocation à la transformer en plomb !"

Patrick Hetzel,

Député du Bas-Rhin

Membre du bureau de l'Assemblé parlementaire Franco-Allemande (APFA)