«Où sont passées la pédagogie et la confiance dans l’école de M. Blanquer?»

Publié le 29/03/2019 dans les catégories Médias

L'Opinion - Tribune libre de

« La confiance ne se décrète pas à coups de déclarations de presse, mais elle se construit patiemment par les actes. Le faire est bien plus important que le dire »

Les faits - Martine Daoust, ancienne rectrice, est professeure des universités. Patrick Hetzel, ancien recteur, est député LR du Bas-Rhin.

Qui peut se plaindre des actions en faveur de la fluidité des parcours pour les élèves ​? Eviter cette cassure entre 1er et 2nd degré par la création de nouveaux établissements, les écoles du socle, pourrait sembler logique si l’objet de la proposition était clair et surtout s’il ne fallait pas attendre des ordonnances pour en connaître les contenus et modalités d’application. Soyons clairs, deux cassures importantes dans le parcours des élèves restent intactes et rendent cette proposition peu aboutie et suspecte, si ce n’est en termes d’économie de postes. La première rupture concerne la liaison entre la grande section de maternelle et le CP.

Les enseignants réclament pourtant un lien fort dans cette époque charnière du parcours d’apprentissage des élèves, moments de construction des savoirs et dextérités individuelles. Dans de nombreux endroits, maternelles et écoles primaires ne sont pas sur le même site, ce qui complique la liaison. Construire un enchaînement fluide entre les cycles devrait être la priorité qui n’apparaît pas dans la loi.

Concernant les nouveaux établissements, rien n’est précisé quant aux choix de regroupements. Après tout, s’il faut favoriser la mobilité professionnelle des enseignants, qui ne peut être que bénéfique, pourquoi s’arrêter au collège ? Pourquoi ne pas aller au bout de la réflexion et organiser un véritable projet pédagogique de territoire, avec les lycées, et qui prend en compte la spécificité territoriale ?

« Réunir une communauté éducative autour de besoins spécifiques d’un territoire a du sens, la contraindre à une cohabitation forcée sans évoquer, à aucun moment, le contenu pédagogique, la prive de son objet »

Réarrangement de périmètre. Cette loi, comparée à un puzzle à qui il manque des pièces dans un autre quotidien, ressemble en effet à une boîte de legos mal rangés, sans armature. Il y manque furieusement la couleur pédagogique adaptée à l’environnement socio-économique. N’est-on donc pas capable d’encourager les enseignants – et encourager est un euphémisme… – à élaborer des projets pédagogiques qui correspondent aux besoins réels des territoires ? Quels sont les objectifs réels de cette évolution ?

Dans l’exposé des motifs de la loi, on parle de transmission de savoirs fondamentaux et d’ouverture de l’école pour l’égalité entre tous. En quoi ces nouvelles configurations vont-elles améliorer la transmission des savoirs ou participer à l’égalité entre tous si deux segments majeurs des parcours en sont exclus ? Comment se contenter d’un réarrangement du périmètre sans évoquer un contenu adapté aux besoins ?

Réunir une communauté éducative autour de besoins spécifiques d’un territoire a du sens, la contraindre à une cohabitation forcée sans évoquer, à aucun moment, le contenu pédagogique, la prive de son objet. On passe bien sûr sous silence les moyens statutaires mis en œuvre pour réaliser ces transformations organisationnelles. Les ordonnances prescriront : qui affectera les enseignants du premier degré et dans quelle structure ? Qui recevra les moyens de ces nouvelles structures ? Quel sera le lien hiérarchique entre le principal, responsable de l’établissement, et le directeur d’école vassalisé ? Vraiment, cette approche désincarnée de l’école interroge sur les objectifs réels du projet.

Une autre pierre d’achoppement nous fait douter de la sincérité du ministre, qui, la main sur le cœur, semble avoir cédé aux inquiétudes territoriales en maintenant les trente recteurs et les rectorats en place. Peut-être, sauf qu’il a quand même largement « omis » de préciser que les cordons de la bourse seront confiés au recteur de la région académique. En effet, si les moyens humains implantés sur les budgets opérationnels des premiers et seconds degrés (BOP 139, 140, 141, 230) sont confiés aux recteurs, le budget opérationnel qui permet justement les innovations et les ajustements au regard des besoins, le budget 214 – Soutien de la politique de l’Education nationale —, est lui aux mains du recteur de la région académique. Ses collègues, devenus ses obligés, auront perdu l’autonomie.

« Si l’on peut envisager, à défaut de comprendre, que le pilotage des examens puisse se faire à distance, l’histoire est différente en ce qui concerne la gestion des ressources humaines, dont la formation, initiale et continue, des enseignants, qui sera gérée au plus loin des besoins »

Pyramide hiérarchique. Le programme Soutien de la politique de l’éducation nationale porte les ressources nécessaires aux fonctions support des académies et donc des rectorats. Il est affiché par le ministère lui-même comme participant à une plus grande efficience du système éducatif, avec trois objectifs : réussir la programmation et la gestion des grands rendez-vous de l’année scolaire, améliorer la qualité de la gestion des ressources humaines, et optimiser les moyens des fonctions support. Si l’on peut envisager, à défaut de comprendre, que le pilotage des examens puisse se faire à distance, l’histoire est différente en ce qui concerne la gestion des ressources humaines, dont la formation, initiale et continue, des enseignants, qui sera gérée au plus loin des besoins.

Cette composante, un peu technique certes, de l’école de la confiance révèle une réelle volonté de réorganiser le système éducatif en dehors de tout dialogue, sans prise en compte des besoins territoriaux. Une nouvelle pyramide hiérarchique se structure, laissant peu de marge à la confiance, mais mettant implicitement en perspective une vision où l’on cherche avant tout à contrôler car, justement, on ne fait pas confiance aux acteurs concernés.

En somme, Monsieur Blanquer est tombé dans deux écueils redoutables. D’une part, la pédagogie est la grande oubliée de son projet de loi sur l’école – il la traite avec méfiance – et d’autre part, les recteurs de région académique centraliseront les moyens de fonctionnement des rectorats, dévitalisant ainsi les recteurs des autres académies et les empêchant ainsi de disposer des marges de manœuvre pourtant indispensables pour exercer leur fonction avec efficacité et responsabilité – il les traite avec défiance.

Décidément, la confiance ne se décrète pas à coups de déclarations de presse, mais elle se construit patiemment par les actes. Le faire est bien plus important que le dire. Force est de constater que nous sommes ici bien loin du compte pour créer les conditions de construction d’une véritable école de la confiance : c’est une occasion ratée pour Monsieur Blanquer !