Intervention de Patrick Hetzel, rapporteur spécial du budget de la justice

Economie

En sa qualité de rapporteur spécial du budget de la justice, Patrick Hetzel a prononcé l'intervention suivante dans l'Hémicycle.

« Madame la Présidente, Madame la Ministre, Mes chers collègues,

La semaine dernière en commission élargie je vous ai interrogé sur certains points sur lesquels je ne reviendrai pas ce soir. Toutefois, en reprenant nos débats ainsi que les documents budgétaires, à mon sens, plusieurs incertitudes demeurent et méritent collectivement notre attention.

Tout d'abord, la question des créations de postes reste un sujet oh combien sensible pour toute la mission justice. Votre projet de budget en prévoit 1000 contre 2 100 l'an passé. 295 devraient concerner les juridictions alors qu'il manque 400 magistrats et 800 greffiers. De fait, pouvez-vous nous indiquer à quelle hauteur les vacances de postes seront réduites en 2018 ?

Par ailleurs, vos services semblent extrêmement confiants au sujet des effets positifs attendus par le lancement d'une politique de simplification des procédures et de numérisation au point de prévoir 183 redéploiements d'emplois. Quels sont donc les actes concrets de dématérialisation qui vont être conduits dans l'année ? En effet, en raison du retard pris par votre administration en matière d'informatique, je doute fort de la possibilité réelle de procéder à de tels redéploiements dans un délai aussi bref.

Vous avez également décidé d'affecter 470 emplois à l'administration pénitentiaire. Il serait très utile d'en connaître la destination précise. Seront-ils intégralement basés dans les prisons qui vont ouvrir (Paris La Santé, Draguignan, Aix) ? Vont-ils permettre de diminuer les nombreuses vacances de postes que connaît l'administration pénitentiaire (environ 1 800) et qui contraignent les chefs d'établissement à faire fonctionner de plus en plus difficilement leurs entités ?

Une question centrale concerne aussi les recrutements autorisés mais qui n'ont pu être concrétisés en 2017. Seront-ils bien reportés sur 2018 ou seront-ils perdus ? Cette question est d'une importance capitale car en fonction de cela, la réalité de la situation de votre ministère s'en trouvera quelque peu modifiée. De plus, comment seront précisément dotées les équipes de sécurité pénitentiaire créées par votre prédécesseur et qui sont chargées de la sécurisation des établissements et des extractions judiciaires ?

De même, la protection judiciaire de la jeunesse devrait recruter 40 emplois (l'an passé la progression était de 165). Cela va-t-il conduire à la révision à la baisse des normes d'encadrement qui sont pourtant le gage de la qualité du service assuré par cette administration ? Quelle sera la répartition des postes créés ? Des éducateurs ? Des psychologues ? Des assistants de service social ? La précision est essentielle au moment où de nombreux contrats de personnels ne sont pas renouvelés, amplifiant les difficultés de fonctionnement des services et dégradant les conditions de travail de tous les agents. Qui en bénéficiera ? Les services éducatifs ? Ceux du milieu ouvert ? Là encore la clarification est attendue alors que vous venez, à grand renfort de communication, d'annoncer la création de 20 nouveaux centres éducatifs fermés.

Pour aller encore un peu plus loin dans mon questionnement, vous n'êtes pas sans savoir que le ministre des comptes publics vient d'annoncer le report du protocole « Parcours professionnel, carrière et rémunération » (PPCR) pour l'ensemble de la fonction publique. Pour le ministère de la Justice, ce manquement à la parole donnée signifie-t-il que les nombreuses réformes statutaires engagées ne verront pas le jour ? Le produit des arbitrages du gouvernement précédent pour une revalorisation des rémunérations des personnels des services judiciaires, sera-t-il conservé ? Par exemplela loi de finances pour 2017 portait 41 M€ de revalorisation des rémunérations des agents du ministère. À combien s'élève ce montant en 2018 car je n'ai pas trouvé ce chiffre dans les documents budgétaires ?

Enfin, les crédits consacrés aux frais de justice restent quasiment stables. Faut-il comprendre que le mouvement de réduction des délais de paiement des fournisseurs mené l'an passé est interrompu ? Pouvez-vous vous engager devant la représentation nationale à interrompre la cavalerie budgétaire à laquelle toutes les juridictions étaient antérieurement soumises comme l'a très bien démontré la Cour des Comptes ? Madame la Ministre, en votre qualité de membre du gouvernement que vous représentez dans sa globalité ici ce soir, pouvez-vous nous certifier que le budget que nous voterons pour la mission Justice sera à l'abri des mortifères « gels » décidés aussi régulièrement qu'arbitrairement par Bercy, sans considération des besoins spécifiques de l'institution judiciaire ?

Pour conclure, Madame la Ministre, le 4 juillet dernier, lors de votre premier déplacement au palais de justice de Reims, vous avez affirmé que tout n'était pas une question de moyens pour le ministère de la Justice. Ce n'est pas faux. Toutefois, l'enjeu budgétaire reste le premier paramètre d'un bon fonctionnement de l'institution judiciaire. Un budget dégradé pour l'année 2018 conduirait à des reports de charges, d'investissements, de recrutements que de meilleures mais hypothétiques dotations dans les années à venir ne pourront jamais résorber. C'est pourquoi j'attends avec impatience vos réponses à mes questions qui correspondent à des sujets d'inquiétude à l'intérieur de votre périmètre ministériel mais aussi de la Nation toute entière par rapport à l'idée qu'elle se fait de l'efficacité réelle de notre système judiciaire dont vous avez la charge.»