Le « crash-test » de la Justice durant la COVID-19
Publié le 12/06/2020 dans les catégories Justice
Lors du débat sur l’évaluation des politiques publiques du 10 juin, Patrick Hetzel a mis la focale sur la justice. Alors que le Gouvernement indiquait qu’un véritable tournant numérique avait été pris par la Chancellerie et la justice judiciaire, la pandémie de la COVID-19 a permis de soumettre la justice judiciaire à un « crash-test » concernant le véritable niveau d’informatisation et de performance numérique. En somme, le système judiciaire français a vécu une mise à l’épreuve de sa politique numérique en grandeur nature. Cela a permis de révéler où se situaient les importantes failles du système.
Pourquoi les systèmes informatiques n’étaient-ils pas au rendez-vous contrairement aux annonces gouvernementales ?
Le diagnostic est sévère. En effet, lorsque la décision de confinement est prise, on s’aperçoit à la Chancellerie que les magistrats sont certes dotés d’ordinateurs portables qui permettent de télétravailler toutefois les personnels des greffes n’en possèdent pas. En urgence, la Chancellerie fait distribuer 300 ordinateurs portables aux 13 000 greffiers de France. C’est le point noir le plus criant car cela fait 2 % de greffiers équipés pour télétravailler. La belle affaire !
Mais le crash-test révèle aussi un autre point noir. Car si les magistrats sont équipés d’ordinateurs portables, lorsqu’ils ont voulu s’en servir, ils se sont très vite rendus compte que le VPN, le réseau privé virtuel, était sous-dimensionné pour permettre un usage important à distance. A la mi-mars, il ne permettait que 2 500 connexions simultanées là où le ministère avait déployé plus de 13 000 ordinateurs portables. Il a fallu attendre le mois de mai, c’est-à-dire la fin du confinement pour que la Chancellerie procède à une montée en puissance du système. Aujourd’hui ce problème est résolu puisque 40 000 connexions simultanées seraient possibles d’après les affirmations du ministère. Mais c’est un peu tard.
Autre point noir qui reste à régler, c’est que les applications informatiques de la chaîne civile (contrairement à celles utilisées pour la chaîne pénale) ne fonctionnent qu’à partir des postes informatiques en juridiction : en d’autres termes, les retards ont bien continué à s’accumuler massivement pour la chaîne civile. Il faut désormais s’attaquer efficacement à ce chantier numérique et mettre en place un véritable plan de résorption des retards accumulés.
Pour finir, les systèmes de visioconférence n’ont pas été à la hauteur des enjeux non-plus. A tel point, que très vite, pour faire face aux urgences, les magistrats se sont rabattus sur de l’audioconférence simple car les systèmes de visioconférence comme par exemple le logiciel Webconférence dont la Chancellerie vantait les mérites ne fonctionnait que sur le navigateur Chrome lequel n’était pas installé sur les portables déployés par la Chancellerie. Les personnels ont eu à gérer ces dysfonctionnements qui n’avaient hélas pas été anticipés. Souvent les magistrats et les greffiers ont utilisé leurs téléphones personnels pour faire face à la situation.
Pour conclure, il évoque le paradoxe de voir que la Chancellerie s’occupe davantage des questions liées à l’intelligence artificielle, allant jusqu’à publier un décret sur le sujet en pleine pandémie ce qui est un scandale absolu, plutôt que de se concentrer sur le cœur de ses missions : tout mettre en œuvre pour que les technologies de l’information et de la communication soient au service d’une justice proche de nos concitoyens.