«Les universités vont être les grandes perdantes de la loi sur la recherche»
Publié le 24/02/2020 dans les catégories Enseignement Sup & Recherche Médias
Le gouvernement peine à sortir un texte de sa loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR). Comment analysez-vous la séquence politique sur le sujet ?
Pour commencer, je dois dire que je suis pour le principe des lois de programmations pluriannuelles dans plusieurs domaines, dont la recherche. Mais je doute de la capacité de ce gouvernement à porter ce type de loi. J’ai été rapporteur spécial du budget de la justice. Nous avons vu qu’entre le vote de la loi en mars 2019 et le vote du budget en 2020, les engagements n’étaient pas respectés. Donc ce gouvernement manque de crédibilité pour porter une programmation pluriannuelle.
Je m’inquiète également de la procrastination autour de la LPPR. Les rapports datent de septembre et nous n’avons toujours aucun texte. Ce n’est pas rassurant. Je me demande si ce gouvernement a une réelle ambition politique pour l’enseignement supérieur et la recherche.
À rebours du quinquennat Hollande, ce gouvernement a décidé de traiter séparément la recherche et l’enseignement supérieur. Est-ce que les universités ne vont pas pâtir de cette dichotomie ?
Bien sûr que oui. Les universités vont être les grandes perdantes de cette réforme. Le gouvernement est enfermé dans une vision très franco-française selon laquelle la recherche s’effectue avant tout dans les organismes. C’est parfaitement faux. Nous avions réussi ces dernières années à avancer vers une meilleure coopération des acteurs du secteur.
Aujourd’hui, on sent une tension au sein du gouvernement. Une tension qui existe depuis longtemps entre le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et Bercy. Mais Bercy est clairement en train de gagner les arbitrages. Que veut le ministère de l’économie ? Que l’Etat ait la même relation avec les universités qu’avec les organismes de recherche.
Est-ce que les tergiversations autour de la LPPR ne s’expliquent pas par la peur de mettre les étudiants et les universitaires dans la rue ?
C’est possible, oui. Mais le gouvernement ne sortira de cette situation qu’en créant de la confiance autour de son action. La confiance ne se décrète pas, elle se démontre dans la pratique.
Je suis sidéré que, sur ces sujets, le gouvernement ait avant tout une approche budgétaire. J’ai l’impression qu’ils affichent des ambitions en fonction du budget qu’ils décrochent. C’est l’inverse qu’il faut faire ! Il faut impulser un souffle dans le système, une vision. Mais Frédérique Vidal a décidé d’exercer son ministère en faisant profil bas. C’est peut-être la feuille de route qu’on lui a donnée : pas de bruit, pas de vagues.
Quelles seraient selon vous les réformes à entreprendre dans le milieu de l’enseignement supérieur et de la recherche ?
La première problématique est celle de la bureaucratisation. On a éloigné les chercheurs de la recherche. Il faut leur redonner du temps. On n’est pas allé au bout de la logique de la LRU. L’autonomie des universités c’est aussi leur faire confiance. L’évaluation doit se faire a posteriori et non a priori. À ce titre, la récente décision de créer un poste de recteur délégué à l’enseignement supérieur et la recherche dans les régions est une mauvaise nouvelle. Cela participe d’une volonté de contrôle de l’Etat sur des acteurs supposés être autonomes. Je vois, là encore, la main de Bercy derrière cette décision.
La deuxième problématique est évidemment celle des moyens. Il faut enfin arriver à cette barre de 3% du PIB consacré à la recherche dans ce pays. Cet argent doit permettre de rehausser la dotation des laboratoires mais aussi de renflouer l’Agence nationale de la recherche (chargée du financement de la recherche sur appel à projet, ndlr). Enfin, il convient encore de faire des efforts sur le rapprochement entre recherche publique et recherche privée.
Vous ne parlez pas de la question de l’emploi et du statut. Pourtant le système fonctionne avec beaucoup de personnes en contrat précaires. Il y a une centaine de candidats au moindre poste ouvert. Le gouvernement propose des CDI mission et des "tenure track" à l’américaine pour répondre aux problèmes de ressources humaines de l’université. Les opposants craignent que cela signifie la fin du statut de chercheur fonctionnaire…
Le CDI de mission et la tenure track ne répondront pas à tous les problèmes RH du secteur, il est évident que non. Beaucoup de chercheurs n’ont pas de contrats stables et s’interrogent légitimement sur leur avenir. Pour répondre à cela, il faut ouvrir un certain nombre de postes supplémentaires.
Sur la question du statut, je pense que le gouvernement n’a pas suffisamment mis les universités et les organismes autour d’une table pour discuter de ce qu’il est possible de faire. J’ai trouvé les rapports du groupe de travail faibles sur le sujet. Je rappelle qu’avant les années 1980, les chercheurs n’avaient pas le statut de fonctionnaire. La nécessité du statut de fonctionnaire pour les chercheurs est un vrai débat qui mériterait d’être posée.