L’euthanasie à la française : sous couvert de "fraternité", une nouvelle dérive éthique
Publié le 09/04/2024 dans les catégories Santé Médias
Atlantico - Tribune de Patrick Hetzel, député du Bas-Rhin – publiée le 09.04.24
L’euthanasie à la française : sous couvert de "fraternité", une nouvelle dérive éthique
Le projet de loi sur l’accompagnement des malades et la fin de vie dont le Président de la République et le gouvernement se sont fait l’écho marque une rupture anthropologique et éthique. Il légalise le suicide assisté pour les patients atteints d’une affection grave et incurable avec un pronostic vital à court ou à moyen terme et une souffrance physique réfractaire ou insupportable.
Il ouvre un droit à l’euthanasie pour les patients ne pouvant s’administrer physiquement la dose létale. Le dispositif proposé présente trois caractéristiques : en veillant délibérément à ne pas désigner l’acte létal, puisqu’il n’emploie pas les termes de suicide assisté et d’euthanasie, le texte va plus loin que les pratiques suisse et belge. Cette légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie avance masquée derrière une promotion d’un nouveau concept, les soins d’accompagnement, proclamation de droits sans conséquences. Cette légalisation des formes de mort administrée que sont le suicide assisté et l’euthanasie prétend s’inscrire dans la continuité des droits reconnus par le code de la santé publique mais se garde d’insérer ce nouveau dispositif dans ce même code. Ce qui est éthiquement très choquant c’est de noter que l’exécutif continue à nier l’évidence des mots. Donner la mort n’est pas rien. Proposer de légaliser un tel acte sans l’énoncer clairement est particulièrement douteux car il est des domaines pour lesquels, même en politique, la ruse si chère à Machiavel, n’a pas sa place notamment lorsque l’on en arrive aux valeurs fondamentales qui constituent les bases mêmes de notre société. Tuer est un interdit et par voie de conséquence, inscrire sa transgression dans la loi, sans l’énoncer clairement et même en cherchant à cacher cette réalité, est une faute éthique grave.
En Suisse, le suicide assisté est l’acte létal effectué par un tiers pour des motifs non égoïstes sur une personne ayant une capacité de discernement, avec une fin de vie proche. Dans le projet gouvernemental ouvrant la porte à l’euthanasie sur la base de critères aussi flous que celui du décès à moyen terme, l’acte létal pourrait être réalisé par un médecin, un infirmier ou une personne volontaire. Loin d’être un « modèle français », c’est un patchwork puisant dans les législations étrangères ayant légalisé les deux formes de mort administrée. En permettant au médecin de pratiquer le geste létal, le texte s’inspire de la loi belge. L’implication d’un infirmier emprunte à la loi québécoise. L’intervention d’un tiers se rapproche des pratiques suisses. Mais à la différence des pratiques de nos voisins helvétiques, l’absence de conflit d’intérêts entre le patient et le tiers ne serait pas exigée. Le médecin, qui évaluerait la demande du patient et serait susceptible de pratiquer l’acte létal s’exposerait aussi à un autre conflit d’intérêts. Les avis d’autres médecins étant purement consultatifs, la décision solitaire du médecin constituerait en outre une rupture avec la procédure collégiale imposée par la loi Leonetti et marquerait le retour aux décisions médicales solitaires antérieures à la loi de 2005. Ce serait la consécration du tout pouvoir médical, alors que l’aide à mourir est revendiquée au nom de l’autodétermination de l’individu. Comme s’ils n’avaient pas leur mot à dire, les avis de la personne de confiance, de la famille et des proches seraient ignorés. Au vu du contentieux noué autour de l’arrêt de traitement de Vincent Lambert devant le juge administratif et de l’affaire Mortier devant la cour européenne des droits de l’homme, la judiciarisation de la fin de vie aurait de beaux jours devant elle. La méconnaissance des effets induits par la marginalisation des avis médicaux et de l’opinion de la famille et des proches se double d’une méconnaissance de la réalité de notre système de santé. A qui fera-t-on croire que des médecins puissent être sollicités sérieusement par le médecin traitant dans un délai de quinze jours, quand beaucoup de nos concitoyens doivent attendre plusieurs mois pour avoir un rendez-vous médical ? Enfin présenter le recours à l’euthanasie comme une exception applicable aux personnes ne pouvant s’administrer la mort, c’est oublier de rappeler que là où l’euthanasie et le suicide assisté sont reconnus-au Canada et aux Pays-Bas, on compte 99% d’euthanasies pour 1% de suicides assistés. Lorsqu’ elle cohabite avec le suicide assisté, l’euthanasie a le monopole de la mort administrée. En retenant le taux officiel des euthanasies en Belgique, soit 5% des décès annuels, une euthanasie serait pratiquée en France toutes les quatre minutes les jours ouvrables.
Pour tenter de convaincre les parlementaires les plus hésitants, le projet consacre tout un chapitre préliminaire aux soins palliatifs. Mais un examen attentif de celui-ci montre qu’ils sont sacrifiés au profit d’une nouvelle notion, les « soins d’accompagnement ». Ces derniers sont appelés à s’inscrire dans une stratégie décennale, morceau d’anthologie de logorrhée législative bavarde, bureaucratique et inutile. Manœuvre de diversion politique prenant en otage les soins palliatifs dans une instance nationale au statut non défini et un plan décennal, ce discours ne doit abuser personne. Le plan vise à la création de maisons d’accompagnement qui ne verront le jour qu’à longue échéance, alors que la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie sera d’effet immédiat. Comment peut-on parler de stratégie à dix ans, quand aujourd’hui 400 personnes meurent chaque jour, sans avoir eu accès aux soins palliatifs ? Qu’il s’agisse de soins palliatifs hier ou de soins d’accompagnement demain, la société attend des crédits et du personnel formé, non des textes déclamatoires et des usines à gaz qui n’ont pas leur place dans une loi. Comment ne pas imaginer que très rapidement, ce soit le manque de moyens, humains et financiers en matière de soins palliatifs, qui conduise par défaut d’accès aux soins, à un recours à l’euthanasie ? Le retard actuel en France en matière de traitement de la souffrance risque de créer un contexte favorable au développement de l’euthanasie parce que les moyens n’auront pas été mis préalablement. Tout ceci est éthiquement extrêmement dangereux. Sans compter que le choix du Président de la République, contrairement d’ailleurs à ce qu’il avait annoncé aux représentants des cultes, d’avoir un seul texte de loi qui comporte à la fois le volet soins palliatifs et le volet euthanasie et suicide assisté est troublant car cela laisse entendre qu’il y aurait un continuum entre soins palliatifs, suicide assisté et euthanasie. Or, éthiquement, il y a là une véritable rupture et le franchissement d’une ligne rouge. Mais, par la présentation même du texte, on cherche à masquer cela afin de rendre le projet plus « acceptable ». Louvoyer lorsque l’on touche aux valeurs fondamentales de la société est éminemment critiquable. Le Président de la République, plutôt que de s’inspirer de Machiavel, ferait mieux de relire celui dont il dit être intellectuellement proche : le philosophe Paul Ricoeur qui a écrit des choses très fortes sur l’éthique du politique.
Enfin les rédacteurs ont été pris à leur propre piège. Tout en se réclamant des droits des patients inscrits à l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, il leur était difficile d’inscrire ces dispositions dans ce même code qui proscrit l’euthanasie. Parce qu’il s’agit de questions de société et non de santé publique, I ’avant-projet a fait le choix de dispositions législatives autonomes. Il en est de même de l’objection de conscience des médecins et des infirmiers. Elle ne figurerait pas dans le code de la santé publique. Cette même gêne se retrouve avec l’impact du suicide assisté et de l’euthanasie sur les contrats d’assurance-vie. Un suicide assisté et une euthanasie ne peuvent être considérés comme une mort naturelle. Il est difficile aussi de les assimiler à une mort violente, puisque cela reviendrait à estimer qu’il n’y a pas de différence entre le suicide et le suicide assisté. Pour cette raison, la clause de bénéfice de l’assurance-vie est renvoyée aux stipulations des contrats d’assurance. Mais permettre à un tiers d’euthanasier une personne et de le faire bénéficier d’une assurance vie, c’est ouvrir la voie à l’abus de faiblesse des patients.
A la différence des lois autrichiennes, belges et espagnoles qui assument pleinement le choix des mots, le texte évite soigneusement d’employer les termes de suicide assisté et d’euthanasie. Les avantages économiques et financiers d’une telle loi pour l’assurance maladie et nos régimes de retraite appartiennent au non-dit mais n’échappent à personne. D’ailleurs les mutuelles ne dissimulent pas leur soutien à cette initiative gouvernementale. De nouvelles perspectives sont ouvertes pour venir à bout de la surpopulation carcérale, ce dispositif étant appelé à s’appliquer aux personnes condamnées à une détention définitive et à celles placées en détention provisoire. On voit ainsi le signal qu’adresse ce texte avec toutes ses demi habiletés aux personnes les plus vulnérables, le dévoiement du sens du soin auquel il procède, les multiples contentieux auxquels il conduirait et les contradictions dans lesquelles il placerait les pouvoirs publics entre une politique de prévention du suicide et la légalisation du suicide assisté. Sans résoudre pour autant les problèmes essentiels posés par le mal mourir dans notre pays, sans répondre à la solitude des plus fragiles d’entre nous, en déstabilisant une société en mal de repères et un système de santé en crise. En somme, cela conduit à une nouvelle dérive éthique dont les faibles et les vulnérables seraient les premiers et grands perdants.
Il est également frappant que la voix des soignants soit si peu entendue par l’exécutif. Plus de vingt sociétés regroupant les professionnels de santé s’opposent au texte. Celles et ceux qui sont actuellement directement engagés au sein des unités de soins palliatifs lancent de très nombreuses alertes. Alors qu’au sein même de la santé, il y a actuellement une très forte crise de sens, le gouvernement semble totalement ignorer le risque qu’un tel texte va faire peser sur les professionnels de santé. Il y a d’ailleurs une autre interrogation très forte : si la clause de conscience des professionnels semble reconnue individuellement, le texte reste muet sur la question d’une dérogation collective susceptible d’exister pour les établissements. Est-ce à dire qu’il y aura une obligation pour les établissements de pratiquer des euthanasies ? Et l’on peut enfin légitimement s’interroger, alors que tant de nos concitoyens en fin de vie n’ont actuellement toujours pas la possibilité d’accéder aux soins palliatifs et que les dispositions de la loi actuelle sont très insuffisamment appliquées (notamment le fameux triptyque de la loi Clays-Leonetti : personne ne doit mourir dans l’isolement, personne ne doit subir d’acharnement thérapeutique et personne ne doit souffrir) : « N’avons-nous pas mieux à faire que de proposer le suicide à nos concitoyens ? Notre fraternité consiste-elle désormais à faire mourir car le « temps du mourir » serait devenu inutile ? Devons-nous désormais tout mesurer à l’aune des droits individuels, oubliant par la même l’existence de nos liens collectifs en société ? Sommes-nous désormais contraints de tout mesurer à l’aune de l’utilitarisme, notamment économique, lorsqu’il s’agit de penser la protection des plus vulnérables et des plus faibles ? ». Voilà des questions essentielles que le débat parlementaire ne doit nullement esquiver et c’est pourquoi il faut espérer que l’exécutif arrêtera enfin de nier l’évidence même de ces débats par un travestissement linguistique aussi insupportable que contraire à l’éthique que la France a toujours porté en matière de fin de vie. Sinon, nous risquons de jeter aux orties une voie qui fut justement patiemment construite autour d’un large consensus éthique. La loi à venir concernant la fin de vie sera-t-elle la première à faire voler largement en éclat le consensus qui a jusqu’alors très largement prévalu en la matière au moment de l’adoption des lois successives ? Ce ne serait alors plus une avancée sociétale comme certains nous l’annoncent mais un recul de la fraternité authentique.