Loi bioéthique : Patrick Hetzel a voté contre ce texte car il s’agit d’un moins disant éthique
Publié le 18/10/2019 dans les catégories Enseignement Sup & Recherche Santé Vie sociale
« La loi de bioéthique telle que présentée par le gouvernement cette année devait donner lieu « à un débat apaisé », pour reprendre l’expression du Président de la République et de sa majorité. Cela ne fut hélas pas vraiment le cas, du fait de choix politiques lourds de conséquences ainsi que de comportements de membres de la majorité qui ne furent vraiment pas à la hauteur des enjeux, surtout lorsque l’on parle d’éthique.
Le premier regret important concerne le choix même de mettre dans un seul texte de loi des sujets de nature très différente. D’une part, un sujet de société, l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules et d’autre part, de nombreux sujets de bioéthique dans le prolongement des lois précédentes de bioéthique comme la recherche sur l’embryon, la modification des dispositions qui régissent la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines, la création de chimères, etc. L’extension de la PMA n’est pas un sujet de bioéthique car il n’y avait pas de débat de nature scientifique : la science peut le faire mais est-ce que tout ce que la science peut faire doit être autorisé ? La PMA sans père est un vrai sujet de société et il eut été opportun d’avoir un texte spécifique permettant de débattre exclusivement de cette question qui, nonobstant la question du principe de cette extension, pose plusieurs questions très importantes et lourdes de conséquences comme l’évolution du droit de la filiation, la suppression de la référence à un père qui devient un « donneur de gamètes », l’accouchement qui, seul, n’est plus constitutif de la filiation pour une mère qui enfante (revenant ainsi sur le principe pluriséculaire « Mater Semper Certa Est », la mère est toujours certaine), etc. Le fait de mettre cette question dans le même texte de loi, et surtout de le placer au début du texte par les quatre premiers articles a donné lieu à un « mélange » peu souhaitable et surtout cela ne nous a pas permis de débattre sereinement et en détail de tous les aspects qui le méritaient. Sans compter que l’extension de la PMA aurait aussi justifié de débattre de la question de l’adoption.
Le deuxième regret porte sur le choix désastreux de la procédure parlementaire dite du « temps programmé » que la majorité « macroniste » a imposé à l’Assemblée nationale et dont le président Ferrand n’a pas voulu démordre. Cette procédure limite le temps de parole sur un texte dans l’hémicycle en attribuant un temps global de discussion et en distribuant ce temps de parole entre les groupes parlementaires. Le temps de parole global fut de 50 heures avec 11 heures pour les Républicains et 1 heure pour les députés non-inscrits sur le total. Cet élément est important car les autres groupes parlementaires y compris ceux dits d’opposition comme les socialistes, les communistes ou encore les insoumis, étaient largement favorables à ce texte et n’ont donc pas utilisé la totalité du temps de parole qui leur était attribué car ils n’avaient pas d’objections à formuler et à développer. Du coup, sur un texte aussi dense, comportant un très lourd sujet de société et d’importantes questions de bioéthique, ne disposer que d’environ 20% du temps de parole global alors que nous avions déposé 70% des amendements revenait à confisquer le débat et empêcher l’opposition d’exprimer de manière satisfaisante ses arguments et points de vue. En cela, le choix de la majorité est un véritable scandale démocratique. D’autant que nous avons fini, malgré une gestion très parcimonieuse de notre temps, à manquer de temps de parole. Malgré nos protestations, la majorité a cherché à passer en force et a refusé nos demandes répétées de temps supplémentaire pourtant largement justifiées. La loi de bioéthique fut débattue à marche forcée et c’est une tache indélébile sur ces débats qui atteste que l’apaisement et la sérénité n’étaient que de purs éléments de langage de la « macronie », de la communication sans fondement réel dans les faits.
Le troisième regret porte sur la manière dont le président Ferrand a procédé pour le décompte d’un vote d’amendement. Ainsi, le vote qui s’effectuait à main levée était manifestement négatif dans la mesure où le nombre de voix contre dépassait le nombre de voix pour, ce qui n’a pas empêché le président Ferrand de déclarer « amendement adopté ». Il s’agit là d’une véritable forfaiture qui entache l’institution parlementaire dans son ensemble. Le fait que le président Ferrand ne reconnaisse pas sa faute montre, si besoin était, que cette majorité ne respecte pas le fonctionnement de nos institutions, ce qui est tout de même très grave.
Enfin, le quatrième regret porte sur la manière dont le gouvernement a géré le fameux « amendement Touraine ». Cet amendement prévoit l’automaticité de l’adoption plénière en cas de GPA à l’étranger. Cet amendement porté par un membre de la majorité et de surcroit rapporteur en dit non seulement long sur les véritables intentions d’une partie au moins de cette majorité mais ce qui s’est passé dans l’hémicycle est encore bien plus inquiétant. En effet, une fois cet amendement adopté contre l’avis du gouvernement, nous avons assisté à une attitude pour le moins paradoxale du gouvernement. Ce dernier dispose de la possibilité, en cas de désaccord majeur avec l’adoption d’un amendement dans l’hémicycle, de demander une seconde délibération à la fin des débats. Habituellement, lorsqu’un tel vote qui met en difficulté le gouvernement intervient, le gouvernement réagit immédiatement pour indiquer son désaccord et exprimer sa demande de nouvelle délibération ultérieure. Or, les ministres ont mis plus d’une heure à réagir. Ils semblaient avoir perdu la boussole, ne sachant que faire. Nous avons appris le lendemain qu’ils avaient peur de prendre une telle décision et attendaient le feu vert explicite d’Emmanuel Macron à l’Elysée. Cela montre aussi que les ministres ne sont, en « macronie », que de simples exécutants de la volonté présidentielle. Là encore, c’est très inquiétant car on ne transige pas avec des valeurs aussi fondamentales.
Vous l’aurez compris, ce débat fut tout sauf apaisé. Il est entaché par ces choix de la majorité qui n’ont pas permis que la nouvelle loi de bioéthique soit à la hauteur des enjeux. Aussi bien sur le fond que sur la forme, c’est un moins-disant éthique. Toutefois, le combat n’est pas terminé puisque le texte sera bientôt débattu au Sénat puis à nouveau à l’Assemblée nationale. Notre combativité et notre vigilance resteront totales jusqu’au bout malgré ces errements de la majorité présidentielle ».