Loi recherche: interview de Patrick Hetzel à News Tank avant la Commission Mixte Paritaire
Publié le 06/11/2020 dans les catégories Enseignement Sup & Recherche Médias
News Tank Higher Ed & Research – interview publiée le 06.11.20
POGO, REC - Paris - vendredi 6 novembre 2020 - Interview n° 198716
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Loi recherche : la durée de la programmation pourrait faire échouer la CMP selon Patrick Hetzel (LR)
La durée de la programmation pluriannuelle prévue par le projet de LPR pourrait « faire échouer la commission mixte paritaire » qui se réunira le 09/11/2020 : « il est clair que le point clef, le vrai sujet politique, c’est la programmation », déclare Patrick Hetzel, député LR et membre de la CMP à News Tank le 06/11.
Initialement prévue sur les années 2021 à 2030, la programmation a été réduite sur 2021 à 2027 par les sénateurs. Une réduction que soutient Patrick Hetzel. « Cette programmation sur dix ans est forcément insincère quand on voit que depuis 2017, chaque année, il y a eu des annulations de crédits par rapport à la loi de finances initiale », dit-il.
Pour le député LR, d’autres points du texte rajoutés par le Sénat nécessitent « absolument des évolutions » :
- la possibilité de contournement de la qualification par le CNU, sans que l’Assemblée nationale en ait débattu : « il y a là clairement un problème de forme démocratique » ;
- le nouvel article selon lequel « les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République » pour lequel il proposera en CMP une nouvelle formulation sans mention de l’expression « valeurs de la République » qu’un « pouvoir mal intentionné » pourrait utiliser pour « une chasse aux sorcières » ;
- le recul à 73 ans de la limite d’âge pour les titulaires de chaires au Collège de France : une modification qu’il juge « détestable ».
Quels points du propret de loi pour la recherche la commission mixte paritaire, qui se réunira le 09/11/2020 et dont vous êtes membre, pourrait-elle faire évoluer le texte final, si tant est qu’elle soit conclusive ?
Le sujet principal sur lequel le Sénat a été assez ferme en la réduisant de dix à sept ans, est la durée de la programmation pluriannuelle. Franchement, je ne sais pas sur quoi cela va déboucher en discussion en CMP, car des députés de la majorité pourraient déposer des amendements pour la rétablir à dix ans. Il peut y avoir de l’achoppement.
Me concernant, je soutiens ce passage de dix à sept ans. Mais c’est possiblement un point de blocage entre la majorité à l’Assemblée nationale et la majorité au Sénat : cela pourrait même faire échouer la CMP. On verra s’il s’agit ou pas d’une ligne rouge pour la majorité LREM de l’Assemblée.
« Le vrai sujet politique, c’est la programmation »
Et puis, certes le Sénat est à majorité LR, mais il n’est pas monolithique. D’ailleurs, le président de la CMP, Laurent Lafon, est de l’Union centriste : je ne sais pas quelle ligne il défendra sur ce point. Mais il est clair que le point clef, le vrai sujet politique, c’est la programmation. Plus largement, les Républicains ont voté contre le texte à l’Assemblée nationale : afin qu’on vote pour, il faudrait des annonces substantielles.
« Cette programmation sur dix ans est forcément insincère »
Pour Patrick Hetzel, « Cette programmation sur dix ans est forcément insincère quand on voit que depuis 2017, chaque année, il y a eu des annulations de crédits par rapport à la loi de finances initiale, autrement dit des écarts entre ce qui est voté initialement et ce qui va vraiment être dépensé pour l’ESR.
À chaque fois, l’exécution ne suit pas, donc on ne peut plus y croire. Au-delà de 2027, ce n’est vraiment pas raisonnable, personne ne peut y croire y compris Frédérique Vidal elle-même ».
D’autres points sur lesquels pourrait bouger le texte ?
Si la durée de programmation ne constitue pas un point de blocage, il y a des sujets sur lesquels il faudrait absolument des évolutions. Le sujet majeur est la question de possibilité de contournement de la qualification par le CNU rajoutée au texte par les sénateurs. Je vois bien que le Gouvernement et certains acteurs, notamment une partie de la CPU, poussent en ce sens. Mais la CP-CNU est vent debout contre cette possible évolution, avec des arguments à la fois de fond et de forme auxquels je suis sensible.
Quels arguments ?
Sur la forme, c’est un sujet qu’on ne peut pas régler comme ça, sans avoir au moins consulté la communauté académique. Car je considère qu’aujourd’hui, le processus de qualification fait partie de ce qu’on pourrait appeler la base de la « constitution universitaire ».
Il s’agit quand même d’un principe lourd et structurant. Amener le contournement de la qualification par le CNU, via une loi sur la recherche, et devoir le régler comme cela juste en CMP, n’est pas anodin du tout. Nous n’en avons absolument pas débattu à l’Assemblée nationale ! Il y a là clairement un problème de forme démocratique.
« Contournement du CNU : un problème de forme démocratique »
C’est typiquement le genre de débat qui nécessiterait un débat dans les deux chambres. Laisser cela dans le texte sans que ce débat ait eu lieu, c’est déjà gênant en soi, quel que soit le résultat par la suite.
En outre, la ministre ne peut pas d’un côté se targuer de la concertation avec les syndicats sur les rémunérations et les carrières et de l’autre ne pas en faire sur ce sujet du contournement de la qualification. Et ce d’autant plus quand on sait que c’est arrivé dans le texte indirectement par volonté gouvernementale.
Et sur le fond ?
Sur le fond, la qualification donne un certain nombre de garanties, et elle ne remet pas en cause le fait que ce sont les établissements qui ont la main pour les recrutements, dire le contraire est faux. En revanche, la qualification considère qu’il y a une instance nationale qui inscrit sur des listes d’aptitude.
Pour avoir moi-même siégé au CNU par le passé, heureusement que cela existe, franchement. Car les risques de localisme existent et il faut absolument les bannir. Le contournement du CNU pourrait générer ce genre de dérives. Le CNU est un bon garde-fou vis à vis-à-vis de cela, en donnant quand même une garantie qualitative.
Que pensez-vous du nouvel article inséré par un amendement de la sénatrice LR Laure Darcos selon lequel « les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République » qui suscite une large protestation dans la communauté académique ?
La manière dont a été rédigé cet article pose problème, car comment définir les valeurs de la République ? Le plus simple serait de reprendre la rédaction plus large ne mentionnant pas ces valeurs de la République que j’avais formulée à l’Assemblée nationale, mais qui a été écartée au Sénat. Le sénateur Pierre Ouzoulias avait repris mon amendement, mais il a été rejeté.
En CMP, je vais donc de nouveau déposer un amendement en ce sens indiquant que « Les libertés académiques sont le gage de l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s’exercent conformément au principe constitutionnel d’indépendance des enseignants-chercheurs. Ainsi leur liberté d’expression doit être garantie en toutes circonstances. »
« Comment définir les valeurs de la République ? »
Il faut sécuriser les choses là-dessus, car on ne sait pas comment l’expression « valeurs de la République » peut être interprétée. Pour un pouvoir mal intentionné, cela peut être l’occasion de faire une chasse aux sorcières. Or ce n’est pas l’objectif, au contraire.
L’objectif est justement de garantir la liberté d’expression, même s’il ne faut pas tomber dans le registre du pénal, cela va de soi. Le Code pénal continuant bien sûr à s’appliquer par ailleurs pour les propos racistes, négationnistes, etc.
Les libertés académiques n’exonèrent pas de cela fort heureusement. Je pense que c’est ce que voulait dire Laure Darcos avec son amendement, sauf que juridiquement cela peut être tordu dans un autre sens.
Un autre point du projet de loi que vous souhaiteriez voir modifié par la CMP ?
Je déposerai un amendement pour supprimer le recul à 73 ans de la limite d’âge pour les titulaires de chaires au Collège de France décidé par les sénateurs. Symboliquement, cette modification est assez détestable, alors que le Collège de France dispose déjà d’un régime d’exception. À l’université, les professeurs d’université et maîtres de conférences ne peuvent pas exercer au-delà de 68 ans, contre 70 ans au Collège de France.
Franchement, dans une loi où l’on dit qu’il faut rebooster la recherche française et mettre un coup de collier pour permettre à nos jeunes de rester en France, ce nouveau recul de la limite d’âge au Collège de France donne un signal contraire à celui de renouvellement générationnel qu’on souhaite envoyer.
En outre, rien n’empêche ces chers collègues du Collège de France de plus de 70 ans de demander l’éméritat leur permettant de continuer de participer à des jurys de thèse, d’être présents dans leur labo, etc. Mais à un moment donné, il faut aussi savoir passer la main. Le lobbying des professeurs du Collège de France est quand même vraiment incroyable.
Enfin, le Sénat a opéré un ajout dans le texte sur les recherches sur le corps humain : je suis en train de regarder l’incidence que cela peut avoir, et si cela peut donner lieu au dépôt de ma part d’un amendement de suppression de cette partie.