IFP Énergies nouvelles : enjeux stratégiques des terres rares
Publié le 15/03/2023 dans les catégories Enseignement Sup & Recherche
Trois questions à Patrick HETZEL, Député et rapporteur d’un rapport de l’OPECST sur les enjeux stratégiques des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques.
Stimulée par la transition énergétique et numérique, la forte progression de la demande en métaux stratégiques pose un défi majeur pour l’Europe, dépendante de ses fournisseurs extérieurs. Quelles sont les industries les plus concernées ?
Selon vous, quelles évolutions les législateurs français et européens devraient-ils proposer afin de sécuriser l’approvisionnement des métaux stratégiques et critiques ?
Beaucoup d’industries sont concernées car les matières premières stratégiques et critiques sont nécessaires dans de très nombreux secteurs.
Parmi celles-ci, on peut évidemment citer tout le secteur du numérique au sens large, des télécommunications à l’informatique en passant par tout ce qui relève du stockage de données.
A cela il convient d’ajouter le secteur automobile qui comporte de plus en plus d’électronique embarquée ou encore des pots catalytiques.
Il en est de même pour toute la filière de l’énergie qu’il s’agisse des batteries qui nécessitent du lithium, des luminophores ou encore des éoliennes qui ont besoin d’aimants permanents composés de terres rares notamment le dysprosium.
S’agissant des mesures à adopter, permettez-moi de revenir sur un rapport de l’OPESCT de 2016, que j’ai conduit avec ma collègue sénatrice Delphine Bataille.
Dans ce rapport, nous avons émis quelques recommandations importantes dont on ne peut que regretter qu’elles n’aient pas été mises en œuvre.
On peut citer notamment la mise en place d’une véritable stratégie minière et métallurgique volontariste à l’échelle de la France à l’image de ce qu’ont fait des pays comme le Japon, la Suède ou encore la Finlande.
Nous alertions aussi dès 2016 sur la nécessité de constituer des stocks stratégiques voire des stocks préventifs comme cela se pratique depuis de nombreuses années et de manière systématique au Japon. Et enfin, pour concilier impératifs de souveraineté et enjeux environnementaux, il faut intensifier les filières de recyclage.
Là encore, le Japon montre la voie. Il tire déjà fortement profit de ses « mines urbaines » et une entreprise comme Mitsubishi recycle et récupère beaucoup de matières premières critiques et stratégiques.
Nous avons d’importantes marges de progression en la matière.
La France et l’Union Européenne favorisent-elles suffisamment la recherche et l’innovation ? Dans quels domaines faudrait-il accélérer ? Avec quels moyens ?
De toute évidence, la politique des matières premières de l’Union Européenne pourrait être bien plus dynamique mais elle se heurte à l’absence de sa compétence en la matière et de toute évidence, il n’y a pas de véritable volonté politique de prendre cette question à bras le corps à l’échelle européenne.
Pourtant le contexte géopolitique actuel incite plus que jamais à la réflexion et à l’action. Ainsi, les mines de minerais non énergétiques ont globalement disparu en Europe sauf dans les pays scandinaves.
Pourtant nous avons des entreprises minières européennes qui ont une vocation mondiale.
S’agissant de la stratégie européenne, elle devrait se déployer dans trois directions complémentaires : comment développer l’exploitation de ces matières premières le plus possible en Europe pour réduire notre dépendance, comment sécuriser un accès à l’extérieur de l’Union européenne et enfin, comment utiliser efficacement ces ressources et comment inciter au recyclage ?
Tout ceci doit bien sûr s’effectuer en ayant de plus une véritable dynamique de soutien à la recherche comme le fait le Japon.
Enfin, je constate que nous ne sommes pas assez préparés à un risque pourtant réel de pénurie pour les matières premières non agricoles et non énergétiques. Cela peut mettre en péril des pans entiers de notre industrie.
Quels leviers actionner pour développer une filière compétitive du recyclage des métaux stratégiques dans l’Union européenne ? Pour quels bénéfices ?
Avant tout, il convient d’indiquer que si le recyclage est nécessaire et souhaitable, il n’apportera qu’un élément de réponse dans cet univers des matières premières critiques et stratégiques.
Il faudra aussi en parallèle continuer à mener des recherches qui permettent des substitutions de matières.
L’exemple le plus frappant concerne par exemple les éoliennes pour lesquelles Siemens a trouvé une solution technologique pour limiter le recours au dysprosium qui était utilisé en très grandes quantités. Ceci étant posé, il faut avoir une vraie vision stratégique. Dans certains cas, le recyclage est déjà viable économiquement, dans d’autres, le modèle économique n’a pas encore été trouvé.
C’est là où il faut sans doute concevoir le développement du recyclage par d’autres moyens que le marché, notamment par la règlementation.
En tout cas, je suis persuadé que le recyclage sera d’autant plus efficace qu’il s’inscrira dans une démarche relevant de l’économie circulaire.
Enfin, gardons à l’esprit l’exemple japonais. Il est la preuve de l’intérêt d’une démarche pragmatique et volontariste, et surtout fondée sur un partenariat efficace entre l’industrie japonaise et les pouvoirs publics.
Le Japon a montré qu’il était capable de combiner trois impératifs : sa souveraineté stratégique concernant les matières premières, la rentabilité économique et le respect de l’environnement.
La question se pose de façon identique pour l’Europe. Je souhaite que nous soyons capables d’aller résolument et fortement dans cette direction.
J’espère que les récentes alertes conduiront le gouvernement français à prendre enfin au sérieux celles que nous avons formulées dès 2016 au sein de l’OPECST à ce sujet.