Pourquoi la constitutionnalisation de l’IVG pose de nombreux problèmes ?
Publié le 06/02/2023 dans les catégories Santé Médias Politique
Tribune publiée dans Famille chrétienne le 03.02.2023
Avortement dans la Constitution : « Le Sénat n’a absolument pas joué son rôle »
Patrick Hetzel, député du Bas-Rhin et vice-président du Groupe Les Républicains explique les conséquences graves de la décision du Sénat d'inscrire la « liberté d’avorter » dans la Constitution. Selon lui, les sénateurs ont manqué à leur devoir et doivent « se ressaisir » après leur erreur du 1er février.
Mercredi le 1er février 2023, le Sénat vient d’adopter une proposition de loi qui propose la constitutionnalisation de la liberté d’avorter. J’avoue être stupéfait par cette décision. C’est totalement incompréhensible. En effet, une telle orientation est incohérente et ceci à plusieurs titres. C’est ainsi que l’ensemble du débat qui s’est déroulé il y a quelques semaines à l’Assemblée nationale et qui vient d’avoir lieu au Sénat n’a vraiment pas lieu d’être en France. Il s’agit d’une réaction à un événement qui s’est déroulé aux Etats-Unis d’Amérique et qui n’a aucun effet sur notre droit français. L’argument développé par les défenseurs de la constitutionnalisation consiste à dire qu’il faut « sécuriser » juridiquement l’avortement en France en l’inscrivant directement dans la Constitution car il serait menacé. Mais nous savons tous qu’il n’est nullement menacé en France, par aucune formation politique. L’ensemble de ce débat est donc avant tout médiatique et assez peu juridique. Il n’est pas raisonnable de vouloir importer en France un problème qui n’existe pas chez nous mais qui est aujourd’hui américain.
Mais au-delà de tout cela, se pose aussi la question du rôle de la Constitution française et de ce qui doit véritablement y figurer. A priori, la Constitution a pour objectif de fixer les grands principes qui régissent notre Etat : la production des normes, la séparation des pouvoirs, les relations entre les pouvoirs, etc. En aucun cas, la Constitution ne doit devenir une liste de différents droits, une sorte d’inventaire « A la Prévert » qui d’ailleurs, selon les constitutionnalistes, reviendrait à fragiliser la Constitution en quittant le champ des grands principes pour aller vers les droits particuliers. Disons le clairement, vouloir constitutionnaliser l’I.V.G ., au-delà de ces réserves juridiques mentionnées ci-dessus, serait même très dangereuse. Car, comme l’ont expliqué d’éminents juristes, en procédant de la sorte, on créerait un déséquilibre normatif. Ainsi, si le droit à l’accès effectif à l’avortement est inscrit dans la Constitution, le Conseil constitutionnel pourra être amené à le mettre en balance avec la liberté de conscience du personnel médical puisque celle-ci, contrairement à l’I.V.G., serait de niveau législatif et non pas constitutionnel. De facto, aller dans ce sens, menacerait la liberté de conscience du personnel médical puisque l’on pourrait revenir sur la « clause de conscience ». D’ailleurs, lors des débats à l’Assemblée nationale, les partisans de la constitutionnalisation ont clairement indiqué que le combat d’après serait bien celui de l’abolition de cette clause.
Autre aspect qui est très troublant dans ce qui vient de se passer, c’est que non seulement le Sénat prend, avec ce vote, une décision strictement orthogonale à un vote précédent pourtant effectué il y a simplement quelques semaines, mais on ne reconnait pas dans cette décision l’ « A.D.N. » du Sénat. En effet, habituellement le Sénat prend ses distances par rapport aux tumultes et aux fracas médiatiques, pour se concentrer sur l’essentiel. Habituellement, les sénateurs, plus encore que les députés, savent que l’on ne doit toucher à la Constitution que d’une main tremblante, pour reprendre cette formule chère à Montesquieu. Dans le cas présent, force est de constater que le Sénat ne joue absolument pas son rôle de garant de la Constitution puisque, comme nous l’avons mentionné plus haut, avec sa décision, il contribue même à significativement l’affaiblir. Habituellement, les sénateurs sont très attachés à la rigueur juridique et ils cherchent à légiférer de façon rationnelle et raisonnable, sans être sous la pression de telle ou telle opinion publique. Or ce qui vient de se passer là, est le strict opposé de tout cela : ce n’est ni rationnel ni raisonnable. Si l’on tire les fils de cette décision, allons-nous demain voir apparaître dans la Constitution française tous les sujets sociétaux ? Franchement, tout ceci n’est pas très sérieux et je formule des vœux pour que la Chambre Haute se ressaisisse car si elle n’est plus capable de faire preuve de tempérance et de mesure alors on peut même se demander si le bicamérisme a encore un sens dans nos institutions françaises.
Patrick HETZEL, Député du Bas-Rhin,
Vice-Président du Groupe Les Républicains