Lutte contre la fraude aux prestations : quel bilan quatre ans après la commission d’enquête parlementaire ?

Publié le 26/03/2025 dans les catégories Vie sociale

Mardi 25 mars 2025 - Débat dans l’hémicycle sur le thème : "Lutte contre les fraudes aux prestations sociales "

Patrick Hetzel est intervenu à deux reprises cette semaine dans l’hémicycle au sujet des fraudes aux prestations sociales. Tout d’abord comme rapporteur de la mission d’évaluation et ensuite comme orateur de son groupe parlementaire. Ci-dessous vous trouverez les textes de ses deux interventions, le lien vers la vidéo ainsi que le fichier attaché comportant la synthèse du travail en question. Voir la note Fraudes - mars 2025

  • Intervention de Patrick HETZEL, rapporteur désigné par la Commission des Affaires sociales :

Madame la Présidente, Madame la Ministre, Mes chers collègues,

La fraude aux prestations, comme l’ensemble des fraudes aux finances publiques, constitue une atteinte au pacte républicain qui lie les assurés sociaux par un ensemble de droits et de devoirs. Elle constitue un détournement des ressources de notre système de protection sociale, entame la confiance de nos concitoyens dans l’équité de celui-ci et doit donc être résolument combattue. Voilà les principes de base de notre sujet d’aujourd’hui.

J’ai eu la chance de présider en 2020 la commission d’enquête parlementaire sur les fraudes aux prestations sociales. Nous avons alors émis un certain nombre de recommandations. Force est de constater que 5 ans après, toutes nos recommandations n’ont toujours pas été mises en œuvre. Il y a toutefois une plus grande prise de conscience du côté des responsables des organismes sociaux pour enfin lutter plus efficacement contre ces fraudes et aussi les prévenir.

Bien entendu, nous le savons tous, avec la fraude, ce qui est difficile, c’est d’avancer des chiffres car on est obligé de faire des estimations. En tout cas, en 2020, nous avions pointé du doigt que la culture de lutte contre la fraude était quasiment inexistante au sein de la CNAM. Je pense objectivement que cela a changé depuis. Mais il reste des inerties dans le système car désormais la fraude à « enjeux » a deux grandes particularités. D’une part, elle est effectuée par des professionnels de santé, notamment dans les centres qui fleurissent partout en milieu urbain, et dont certains abusent du système en poussant à des actes inutiles. Et d’autre part, la fraude sociale est effectuée en bande organisée car le risque reste faible pour les fraudeurs en comparaison avec les gains potentiels.

Ce que montrent nos travaux récents, c’est que plus encore que par le passé, les fraudes peuvent prendre des formes très diverses. Par exemple, une fraude qui m’avait fortement marqué en 2020, c’était la fraude aux fausses ordonnances. Elle permet à des réseaux qui ont mis la main sur des cartes Vitale actives de se faire délivrer des médicaments établis grâce à de fausses ordonnances. Ensuite, ils revendent les médicaments qui partent à l’étranger pour être vendus localement. Pour lutter contre cela, voici presque dix ans déjà l’Espagne a mis en place l’ordonnance électronique et a ainsi évité dès la première année de mise en place plus de 200 Millions d’Euros de fraudes. On peut considérer que la même chose permettra au bas mot d’économiser tous les ans un demi-milliard d’Euros. Cela est en train de se mettre en place en France mais tout cela reste trop lent à se faire et ce que je souhaite avant tout dénoncer ici c’est la lenteur de la mise en place.

Dès 2020, nous avions insisté sur le fait qu’il fallait davantage utiliser les outils numériques et informatiques pour lutter contre les fraudes et pour effectuer de l’analyse de données statistiques pour identifier les fraudes. Désormais, les outils numériques sont plus systématiquement utilisés mais nous devons aussi nous assurer que les organismes sociaux auront accès aux bonnes bases de données pour croiser des informations.

Malgré certains progrès, l’efficacité de la lutte contre la fraude doit encore être améliorée car le montant des préjudices détectés et les sommes recouvrées restent encore très inférieurs au montant estimé de la fraude. C’est ainsi que l’amélioration de la performance des contrôles doit être mise en regard du montant estimé de la fraude (au moins 5,7 milliards d’euros en 2023), lequel demeure très supérieur à celui des préjudices constatés ou évités (1,2 milliard d’euros) et recouvrés (600 millions d’euros dans le champ des régimes obligatoires de base). Le taux de recouvrement des indus frauduleux varie aussi entre les organismes, en fonction de la nature des prestations servies et du type de fraude commise.

À titre d’exemple, ce taux est de près de 80 % dans le cas de la Cnaf mais varie fortement selon la nature des fraudes : il est le plus élevé dans le cas des fraudes individuelles pour lesquelles les caisses peuvent récupérer les indus sur les prestations futures. Dans les autres cas – notamment lorsque les fraudes sont commises en bande organisée –, l’action des caisses vise avant tout à limiter le montant des préjudices irrécupérables en arrêtant la fraude le plus tôt possible.

Au surplus, l’estimation de la fraude est encore incomplète dans la mesure où, dans le cas de l’assurance maladie, elle est évaluée sur une partie seulement des actes remboursés. Ainsi, en appliquant à l’ensemble des actes le taux de fraude estimé pour cet échantillon, la Cour des comptes présentait en 2023 une estimation supérieure de la fraude à l’assurance maladie, laquelle serait de l’ordre de 4 milliards d’euros.

Au-delà des seuls indus frauduleux, la fiabilisation du service des prestations demeure inachevée, comme en témoigne la décision de la Cour des comptes de ne pas certifier les comptes de la branche famille relatifs aux exercices 2022 et 2023. De ce point de vue, si le dispositif de solidarité à la source est prometteur, sa généralisation– intervenue le 1er mars dernier – est encore trop récente pour qu’il soit possible d’en apprécier les effets sur les indus liés au RSA ou à la prime d’activité.

Une chose est sûre : la lutte contre la fraude n’avance pas assez vite !

 

  • Intervention de Patrick HETZEL, orateur du groupe de la Droite Républicaine :

Madame la Présidente, Madame la Ministre, Mes chers collègues,

Avant tout, il faut bien dire que pendant très longtemps, on a mis la poussière sous le tapis. C’est-à-dire que l’on ne prenait pas au sérieux cette question de la fraude aux prestations sociales. Je pense que les rapports parlementaires successifs, dont notre rapport de 2020, ont permis de mettre la focale sur le sujet. Les médias se sont aussi emparés de la thématique. Pendant longtemps, on a entendu dire que la fraude aux prestations sociales c’était la fraude du pauvre et que l’on parlait surtout de la fraude fiscale en considérant qu’il s’agissait de la fraude des riches. Les travaux ont clairement montré que les problèmes étaient ailleurs. Que tout d’abord nos concitoyens voulaient de la justice sociale et qu’ils ne supportent pas que l’on fraude car cela se fait au détriment de ceux qui sont vertueux. Ensuite, les travaux parlementaires ont justement montré que la fraude aux prestations sociales devenait de plus en plus une fraude à enjeux et qu’elle était pratiquée par des réseaux, par des bandes organisées et de plus en plus depuis l’étranger. Les « trous dans la raquette » sont désormais connus et la pression sociale augmente, obligeant les dirigeants des différents organismes et caisses concernées de s’investir davantage sur la question. Ceci étant dit, de nombreux progrès ont été faits mais de nombreuses améliorations restent aussi à entreprendre pour que les sommes recouvrées suite à des fraudes soient plus conséquentes.

Vous l’aurez compris, les choses restent perfectibles et d’ailleurs c’est la Cour des Comptes qui le dit dans un récent rapport. Il faut que les organismes travaillent encore davantage entre eux, s’échangent leurs données, leurs bonnes pratiques de lutte contre la fraude, la liste des IBAN frauduleux, etc. C’est un changement de culture qu’il faut opérer car la fraude aux prestations sociales fragilise notre modèle social. Il faut vraiment méthodiquement arriver à repérer ceux qui bénéficient de manière indue des prestations sociales. Cela doit aussi être une volonté partagée par tous et c’est pourquoi je demande vraiment à ce que l’autorité de tutelle, en l’occurrence l’Etat, mette des objectifs très clairs et précis, de lutte contre la fraude, dans les contrats d’objectif et de gestion des caisses. Il faut aussi être plus agile dans la lutte car les fraudeurs eux le sont. Ils créent des sociétés éphémères, utilisent des outils sophistiqués pour établir des fraudes documentaires, etc. Il y a donc une sorte de course contre la montre et contre l’ingéniosité des fraudeurs qu’il faut mener. Je crois que les choses changent dans le bon sens mais il faut maintenant passer à la vitesse supérieure et renforcer en la matière les coopérations entre les différents services de l’Etat. En quelque sorte, il faut que l’Etat se dise systématiquement : lorsque je demande à ce qu’un organisme verse une prestation, je dois systématiquement aussi lui demander de mettre en place, et dès le départ, un système de contrôle. Le contrôle est le nerf de la guerre. On l’a souvent oublié. En conclusion, je pense que les choses vont désormais dans la bonne direction mais cela ne va pas assez vite !

Ma question est donc simple : que compte faire le gouvernement pour augmenter l’efficacité de la lutte contre la fraude ?