Réaffirmer la nécessité d’opérer au plus vite une transition numérique du ministère de la justice
Publié le 03/05/2024 dans les catégories Justice
La justice joue un rôle fondamental dans notre société. C’est grâce à elle que l’on préserve la vie en société et que nul n’est au-dessus de la loi, c’est sur elle que repose l’état de droit consubstantiel à notre démocratie : protéger les plus vulnérables, juger les conflits et sanctionner les comportements interdits. Parce qu’elle joue ce rôle crucial, elle doit être rendue de la façon la plus efficace possible. Cela suppose, pour les professionnels de la justice, d’évoluer dans les meilleures conditions d’exercice possibles, et notamment de disposer des outils les plus adaptés à leurs besoins. Pour les justiciables, cela suppose que la justice soit, entre autres, accessible et rendue dans les plus brefs délais. Dans les deux cas, l’informatique et, plus globalement, le numérique ont une place centrale à jouer pour contribuer à améliorer le fonctionnement du service public de la justice. Les exemples étrangers montrent combien le numérique permet un meilleur lien entre le justiciable et l’institution judiciaire. Le numérique peut, en effet, permettre d’accélérer les procédures, de les simplifier, d’améliorer le partage de l’information – entre services mais aussi entre l’administration et le citoyen – ou encore d’accroître l’efficacité de la réponse judiciaire.
Pourtant, les constats d’une transition numérique défaillante de la Chancellerie se sont multipliés ces dernières années, certaines institutions ne ménageant pas leurs critiques. La Cour des comptes a par exemple souligné dans un rapport récent[1] le « retard considérable » accumulé par le ministère en matière de systèmes d’information. Les conclusions des États généraux de la justice sont elles aussi sans appel : « les conditions dans lesquelles la justice est rendue ne sont plus acceptables : les outils et les infrastructures informatiques sont insuffisants ou obsolètes. »[2] Les comparaisons européennes placent également la France parmi les États où la numérisation de la justice est la moins avancée, qu’il s’agisse du recours aux outils numériques par les tribunaux et les procureurs généraux, d’accès aux décisions judiciaires ou encore de numérisation des procédures. La dernière édition[3] du tableau de bord de la justice dans l’Union de la Commission européenne classe ainsi la France 24e sur les 27 États membres de l’Union européenne en matière de solutions numériques pour initier ou suivre une procédure.
Face à ces constats, il serait faux de dire que rien n’a été fait. On assiste depuis plusieurs années à une hausse inédite des moyens du ministère de la justice, dont bénéficient les divers projets informatiques, et nous nous félicitons que ceux-ci dépassent désormais les 10 milliards d’euros. L’épidémie de Covid-19 a conduit à accélérer l’équipement des agents en matériel informatique, leur permettant de poursuivre leur activité en dehors de leur lieu de travail. Des plans spécifiquement dédiés à cette question ont également été mis en œuvre. Plusieurs lois adoptées récemment ont aussi vocation à améliorer le fonctionnement global du service public de la justice.
Force est toutefois de constater que le compte n’y est pas. Les citoyens restent confrontés à des difficultés pour initier ou suivre une procédure en ligne. Les professionnels de la justice se plaignent du manque d’interopérabilité des réseaux, d’applications défaillantes, d’outils obsolètes et vont jusqu’à parler de « l’enfer du numérique judiciaire »[4]. Les projets demeurent à l’état de projets, dont la réalisation concrète semble sans cesse s’éloigner[5]. Logiquement, les coûts desdits projets explosent, quand il est possible de les suivre[6]. Cela est parfaitement inacceptable surtout si l’on met cela en regard avec les sommes considérables qui ont été dépensées ces dernières années par le ministère français de la Justice en la matière. Plus que jamais, ce qui est en cause, c’est l’efficacité de ce qui est mis en œuvre et surtout le pilotage des projets. À titre d’illustration, la plateforme Cassiopée est très largement perfectible et incomplète. C’est ainsi que le ministère de la justice ne dispose pas de certaines informations pourtant indispensables pour mettre en œuvre une véritable politique publique en matière judiciaire – ce qui interroge – et cela rend, bien entendu, l’évaluation de ces mêmes politiques publiques encore plus difficile.
En somme, les années passent, les plans se succèdent, et les milliards sont distribués sans résultat tangible pour nos citoyens et ceux qui font vivre quotidiennement la justice. Le Garde des Sceaux reconnaissait lui-même il y a un an, dans un terrible aveu de faiblesse, que : « Le numérique au ministère de la justice c’est un peu le sujet dont on n’espère plus rien. C’est le sujet dont on rit jaune. »[7]. Notre pays mérite mieux que cela.
C’est la raison pour laquelle, en sa qualité de rapporteur spécial du budget de la Justice, et avec l’ensemble des députés de son groupe parlementaire, Patrick Hetzel vient de déposer une proposition de résolution qui invite le gouvernement à tout mettre en œuvre, notamment par le déploiement d’un pilotage des projets digne de ce nom, pour que le second plan de transition numérique du ministère de la justice soit, non seulement mis en place, mais mis en place dans les temps, afin :
- de garantir aux professionnels de la justice des outils enfin performants,
- de garantir à nos citoyens une justice enfin digne du XXIe siècle et
- d’éviter tout dérapage budgétaire dans un contexte budgétaire dégradé.