Rapport de la Commission d’enquête concernant les groupuscules violents
Publié le 14/11/2023 dans les catégories Sécurité & Défense
Présentation du rapport d’enquête concernant les groupuscules violents et les violences au sein des manifestations du mardi 14 novembre 2023
"Mesdames et Messieurs, Bonjour,
Merci pour votre présence à l’occasion de la présentation du rapport de notre commission d’enquête concernant les groupuscules violents et les violences au sein des manifestations.
Avec ce rapport d’enquête que nous vous présentons ce matin prennent fin les travaux de notre commission qui aura œuvré pendant six mois, avec patience et méthode, pour tenter d’éclairer le Parlement et, à travers lui, les Français, sur les violences qui ont entaché tout au long du printemps 2023 le débat public autour de grands enjeux sociaux et environnementaux.
Le sujet est d’importance pour l’ensemble de la nation, et la procédure l’a montré. Alors que les commissions d’enquête procèdent désormais, pour leur grande majorité, du « droit de tirage » dont bénéficient les groupes politiques, celle‑ci a connu une genèse différente. C’est dans l’Hémicycle, le 10 mai 2023, à l’issue d’un débat de plusieurs heures, que les députés ont décidé de sa création par 204 voix contre 47. Les trente membres appelés à y prendre part recevaient alors une mission essentielle, simple dans son principe mais délicate dans ses modalités : établir, comprendre et expliquer ce qui, entre le 16 mars et le 3 mai, avait conduit à des violences, contre les personnes et contre les biens, lors de manifestations et de rassemblements déclarés, spontanés voire interdits. L’État de droit appelle un équilibre subtil entre l’exercice des droits fondamentaux d’une part, la protection des personnes et des biens d’autre part.
La rédaction initiale de la résolution prévoyait d’enquêter sur « la structuration, le financement, l’organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites violentes ». C’était une tonalité qui relevait quasiment de l’investigation judiciaire. Fort à propos, en commission des Lois puis devant l’Assemblée nationale, le rapporteur Florent Boudié s’est attaché à amender cet objet. Ainsi, il est devenu : documenter les actes commis par les auteurs de violences en manifestations, certes, mais dans toutes les manifestations et rassemblements, et explorer également le déroulement des événements en cause pour interroger les succès, les carences et les manquements du maintien de l’ordre.
C’est dans ce contexte que les commissaires m’ont fait l’honneur, lors de la réunion constitutive du 24 mai, de me désigner à la présidence de la commission d’enquête. J’ai tâché de diriger ses travaux dans un esprit d’impartialité et d’objectivité. Chaque sensibilité a pu s’exprimer, non seulement parmi les députés membres de la commission, mais également dans la société française dont les institutions, les associations, les observateurs de tous les horizons ont été conviés à déposer. Les suggestions d’audition présentées par les différents groupes politiques ont toutes été satisfaites et, si les comptes rendus témoignent d’échanges parfois vifs, ils reflètent fidèlement une confrontation des regards qui est le cœur de la démocratie comme de la fonction parlementaire.
La commission d’enquête a beaucoup travaillé. Elle a procédé à près de quarante auditions à l’Assemblée nationale, représentant plus de cinquante heures d’échanges. Une délégation du bureau a effectué deux déplacements sur le terrain, dans les départements de la Gironde et des Deux‑Sèvres, pour interroger les acteurs locaux et pour acquérir une connaissance approfondie des lieux sur lesquels des confrontations avaient éclaté.
Ce rapport d’enquête qui vous est présenté ce matin est le fruit de ces travaux. En croisant les récits et les relations des événements, le rapporteur parvient à établir des faits et à restituer les différents points de vue pour peindre un tableau fidèle des heurts du printemps. Les éléments qu’il présente, avec rigueur et objectivité, nourriront le débat. Bien sûr, chacun bâtira à partir de ces prémisses des démonstrations différentes, en lien avec sa sensibilité politique, mais au moins la base de réflexion pourra-t-elle constituer un socle commun. Le rapporteur a ensuite formulé des conclusions personnelles et des préconisations ; les membres de la commission qui l’ont souhaité, dont je suis, ont fait de même, et leurs contributions sont annexées au rapport. Là encore, telles sont les règles du jeu démocratique, que cette commission d’enquête a scrupuleusement respectées.
Tout au long des travaux, les débats ont été riches, instructifs, parfois sensibles et à l’occasion tranchés, mais toujours respectueux, ouverts et pluralistes. Les désaccords de fond n’ont jamais fait obstacle à la discussion, et tous les commissaires, sur tous les bancs, ont fait avancer la réflexion collective. Qu’il me soit permis d’adresser une pensée chaleureuse au rapporteur Florent Boudié, pour la confiance réciproque qui nous a animés en permanence dans l’exercice de nos prérogatives respectives.
Un regret, toutefois, perdure. La commission d’enquête a donné la parole à tous. Le plus souvent, elle a offert une tribune à ceux qui souhaitaient témoigner de leurs expériences et de leurs convictions. À de rares occasions, elle a dû user des pouvoirs que lui confère l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires pour convoquer ses interlocuteurs et dissiper, de vive voix, les préventions nourries à l’encontre de ses visées supposées. Les auditions en question ont été, finalement, profitables à tous. Pourtant, malgré la convocation formelle de ses porte-paroles, prompts à s’exprimer face aux médias mais visiblement suspicieux devant l’institution parlementaire, une organisation a obstinément refusé de paraître. Les Soulèvements de la Terre ont pourtant joué un rôle capital dans les événements de Sainte‑Soline qu’il appartenait à la commission d’enquête de documenter. En dépit de multiples relances et de plusieurs discussions infructueuses sur les conditions d’une audition, celle-ci n’a pu avoir lieu. Ce refus de concourir à l’exercice démocratique, dans des conditions de publicité transparentes avec les élus de tous bords, est dommageable à tous : à la commission d’enquête privée d’éléments utiles, aux convictions privées d’écho, à la République dont les principes les plus évidents sont sapés. Pour cette raison, et comme le droit le commande, j’ai requis du procureur de la République de Paris l’exercice de poursuites pénales sur le fondement de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 à l’encontre des porte-paroles convoqués. La loi protège l’information des députés car une Assemblée nationale méprisée, devant laquelle on comparaîtrait seulement selon son bon vouloir, serait un bien pauvre garant des libertés démocratiques : les droits du Parlement doivent être défendus ; j’y ai donc pris ma part dans les fonctions qui étaient les miennes.
Tel est l’esprit qui a présidé aux travaux de cette commission d’enquête et qui a concouru, je l’espère, au soutien quasi unanime exprimé par ses membres à l’adoption du présent rapport. Je forme le vœu qu’il alimente, à son tour, les réflexions des différentes institutions pour que les manifestations et les rassemblements à venir, au cours desquelles les Français usent de leurs libertés fondamentales et prennent légitimement part aux choix politiques de la nation, se déroulent dans le respect de l’ordre public et de l’État de droit.
Pour conclure, je tiens à dire que j’adhère très largement au rapport qui vous est présenté ce matin. Comme notre rapporteur, je déplore la banalisation de la violence, sa légitimation par sa non-condamnation catégorique, le dévoiement du concept de désobéissance civile à des fins violentes, le fait que certains campus deviennent des bases arrière de la violence et enfin, que le concept de « collectif » soit utilisé par certains pour échapper au contrôle de l’Etat. Concernant les recommandations, pour la partie législative, nous allons travailler tous les deux à une proposition de loi.
Je vous remercie pour votre attention et passe la parole à Monsieur le rapporteur avant que tous deux nous répondions à vos questions."
Patrick Hetzel,
Pésident de la Commission d'enquête,
Député du Bas-Rhin.
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Rapport Commission d’enquête_Groupuscules violents et violences au sein des manifestations_Tome I
Rapport Commission d’enquête_Groupuscules violents et violences au sein des manifestations_Tome II