Recherche : une loi sans orientation stratégique qui manque d’envergure
Publié le 11/09/2020 dans les catégories Enseignement Sup & Recherche
Patrick Hetzel donne son point de vue concernant la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche (LPPR), une loi « sans orientation stratégique » et qui « manque d’envergure ». Il est l’orateur du groupe Les Républicains sur ce texte à l’Assemblée nationale.
Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation (Mesri), « qui fut présidente d’université devrait porter une orientation stratégique claire qui mettrait nos établissements d’enseignement supérieur et de recherche au cœur du système de recherche français. C’est là pour moi, l’erreur stratégique fondamentale ».
« C’est très différent de ce qui se ferait pour une loi de programmation militaire, où l’on dit ce qu’on met dans telle ou telle priorité. Or, on ne voit pas ce niveau de détail » pour la LPPR.
Il avance aussi plusieurs propositions d’amendements :
- pour qu’il y ait chaque année au Conseil d’Administration des établissements publics un rapport détaillé sur l’évolution post-doctorale pour avoir une meilleure visibilité sur le devenir des docteurs ;
- pour que tout candidat à la direction d’un établissement public de recherche soit titulaire d’un doctorat ;
- pour supprimer toutes les habilitations à procéder par ordonnances prévues par le texte, notamment en matière d’enseignement supérieur privé, car « ces sujets méritent un vrai débat ».
Concernant le financement de la LPPR, Patrick Hetzel indique que l’on assiste à une opération de bonneteau, puisque la baisse de 22 Md€ des cotisations patronales de l’Etat pour les fonctionnaires, sur cette période de 2021 à 2030 (en lien avec la réforme de la retraite) vont en réalité être réinjectés différemment dans le système.
Il regrette que le projet de loi ne fasse rien pour réduire le millefeuille et qu’il ne propose pas de vision générale. Le décloisonnement entre le public et le privé, qui lui tient à cœur, est très timidement abordé. Il y a toujours la dichotomie formation-recherche qui fait que l’on ne s’attaque pas au sujet de notre système global d’enseignement supérieur et de recherche.
Interview de Patrick Hetzel pour News Tank :
Frédérique Vidal, ministre de l’Esri, « qui fut présidente d’université devrait porter une orientation stratégique claire qui mettrait nos établissements d’enseignement supérieur et de recherche au cœur du système de recherche français. C’est là pour moi, l’erreur stratégique fondamentale », déclare Patrick Hetzel, député LR du Bas-Rhin, à News Tank, le 09/09/2020.
Membre de la commission des finances, l’universitaire et ancien Dgesip, juge que le projet de LPR « manque d’envergure » et que le Mesri n’a pas joué un « rôle de stratège pour la préparer ».
« C’est très différent de ce qui se ferait pour une loi de programmation militaire, où l’on dit ce qu’on met dans telle ou telle priorité. Or, on ne voit pas ce niveau de détail » pour la LPR.
Il regrette aussi que le texte « ne suscite pas l’engouement » des parlementaires, normalement très concernés par une loi de programmation, et que la CPU (Conférence des présidents d’universités) ne soit pas parvenue à l’influencer davantage.
Patrick Hetzel annonce à News Tank qu’il va s’impliquer dans l’examen du texte : « À partir de lundi et pendant 15 jours, je quitte la commission de finances pour rejoindre la commission de l'éducation et des affaires culturelles où je serai orateur pour mon groupe. » Un changement de commission qui lui permettra d’intervenir sur l’ensemble de la LPR et pas seulement sur les éléments budgétaires auxquels se limite la commission des finances.
Le député avance aussi plusieurs propositions d’amendements :
- pour qu’il y ait chaque année au CA des établissements publics un rapport détaillé sur l’évolution post-doctorale pour avoir une meilleure visibilité sur le devenir des docteurs ;
- pour que tout candidat à la direction d’un établissement public de recherche soit titulaire d’un doctorat ;
- pour supprimer toutes les habilitations à procéder par ordonnances prévues par le texte, notamment en matière d’enseignement supérieur privé, car « ces sujets méritent un vrai débat ».
Patrick Hetzel répond à News Tank. Comment jugez-vous l’audition de Frédérique Vidal devant les députés le 09/09 ? Quels points ressortent selon vous ?
J’ai trouvé que la ministre était dans une posture très défensive. Elle ne porte pas vraiment son projet de loi. Ce qui est frappant c’est de constater qu’elle est dans une posture de dichotomie entre enseignement supérieur et recherche.
Elle qui fut présidente d’université devrait porter une orientation stratégique claire qui mettrait nos établissements d’enseignement supérieur et de recherche au cœur du système de recherche français. C’est là pour moi, l’erreur stratégique fondamentale.
Il eut fallu affirmer l’objectif de considérer les universités et les établissements d’enseignement supérieur comme centraux pour le devenir de la recherche française.
Lors de la remise des travaux des groupes de travail préparatoires, vous disiez à News Tank que la perspective budgétaire n’était pas réaliste. Aujourd’hui, comment jugez-vous les moyens alloués à la LPR ?
Le vrai sujet c’est la programmation pluriannuelle. En commission des finances, le rapporteur du projet de loi Francis Chouat, a défendu l’idée, que je pousse aussi, de travailler sur sept ans et pas dix ans. Il faut que l’effort commence plus tôt !
Avec mon groupe nous portions un amendement (rejeté) prévoyant une progression forte, de plus 500 M€ en 2021 et de même en 2022, car pour l’instant le quantum est vraiment bas.
Nous attendons de voir le montant consolidé en loi de finances, qui sera notamment impacté par le protocole sur les carrières en cours de négociations par le Mesri avec les syndicats.
Financement de la LPR : un jeu de bonneteau ?
« Comment tout cela [la LPR] va-t-il être financé ? Est-ce que vous acceptez l’idée qu’il faut faire un lien avec la réforme de la retraite, puisque la baisse des cotisations patronales de l’Etat pour les fonctionnaires, sur cette période de 2021 à 2030, sera en effet de 22 Md€ ? Peut-on considérer que ce sont ces 22 Md€ là qui vont en réalité être réinjectés différemment dans le système ? Cela indiquerait qu’on est sur une opération de bonneteau », déclare Patrick Hetzel, le 09/09, lors de l’examen des articles 1 et 2 du projet de loi en commission des finances de l’Assemblée nationale.
Vous êtes membre de la commission des finances qui examine le texte pour avis et seulement ses articles 1 et 2. Comment vous impliquerez-vous dans les débats ?
À partir du 14/09 et pendant 15 jours, je quitte la commission de finances pour rejoindre la commission des affaires culturelles où je serai orateur pour mon groupe.
Quels principaux amendements portez-vous ?
Je porte quelques amendements au nom de mon groupe, notamment sur le fait qu’il y ait chaque année au CA des établissements publics un rapport détaillé sur l’évolution post-doctorale pour avoir une meilleure visibilité sur le devenir des docteurs.
Un autre amendement qui me tient à cœur, je l’avais porté en d’autres temps, est que tout candidat à la direction d’un établissement public de recherche soit titulaire d’un doctorat. Il faut qu’on arrête de dire que le doctorat c’est important, mais que dans notre propre secteur, on peut puisse s’en passer. C’est une question de principe.
S’agissant de l’article 22 du projet de loi, qui permet au gouvernement de prendre des ordonnances notamment pour l’enseignement supérieur privé, je demande la suppression de toutes les habilitations à procéder par ordonnances. Ces sujets méritent un vrai débat.
Plus généralement, quelle est votre appréciation sur le texte ?
Je regrette que le projet de loi ne fasse rien pour réduire le millefeuille et qu’il ne propose pas de vision générale. Le décloisonnement entre le public et le privé, qui me tient à cœur, est très timidement abordé. Il y a toujours la dichotomie formation-recherche qui fait que l’on ne s’attaque pas au sujet de notre système global d’enseignement supérieur et de recherche.
La CPU regrette que les moyens du programme 150 n’augmentent pas et que ce soit les AAP via l’ANR qui soient privilégiés…
Bien sûr, c’est là que cela coince. Bercy ne veut surtout pas d’augmentation globale du programme 150 (formations supérieures et recherche universitaire), ce qui les arrange c’est de financer le 172 (Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires).
Il est probable que dans quelques années tous les moyens n’auront pas été consommés, tandis que s’ils étaient affectés au 150, tout serait dépensé très rapidement.
Dès lors, faut-il remettre en question la place donnée aux AAP ?
Opposer financements récurrents et compétitifs est un faux débat. Et si l’on regarde l’histoire, on se rend compte qu’il n’est pas nouveau. La loi Chevènement de 1982, lorsque la gauche a pris le pouvoir, comporte un passage où il est dit qu’il faut “un soutien des équipes de pointe et favoriser l’émergence de thèmes ou discipline nouvelles. Les crédits récurrents et ceux qui assurent une politique d’incitation devront être équilibrés.” Il y avait déjà l’idée de programmes “blancs” ! Le fait d’être sur des AAP est presque inhérent à l’activité de recherche. Je n’adhère donc pas à l’idée d’arrêter la logique d’AAP, mais j’adhère au fait de dire qu’il faut simplifier et débureaucratiser les procédures. Du côté de l’ANR, il y a encore des choses extrêmement tatillonnes.
Vous êtes l’auteur avec Amélie de Montchalin et Danièle Hérin d’un rapport, en juillet 2018, sur le SI recherche, dans lequel vous appeliez à une loi pluriannuelle pour la recherche. Pourquoi défendiez-vous cette idée ?
En effet, nous disions dès cette époque qu’il fallait une loi de programmation. Cela a des vertus : certes cela n’engage que ceux qui la portent, mais il en reste toujours quelque chose. Les militaires le savent, les sommes affichées ne sont jamais celles à l’arrivée. Néanmoins, quand vous avez défini des axes stratégiques, cela oblige à en rediscuter si on veut les changer. Et cela présente le mérite de sensibiliser les parlementaires à certains enjeux.
Le chantier du SI recherche a-t-il avancé depuis la mission Hetzel-Montchalin-Hérin ?
« Cela n’a pas bougé du tout, on voit bien que le ministère n’arrive pas à suivre ce chantier de manière efficace », répond Patrick Hetzel.
« J’y vois des raisons culturelles, ce point n’étant pas considéré comme le plus stratégique. Et le millefeuille organisationnel n’arrange rien.
Cette complexité du système pose certains problèmes qui vont au-delà du SI : si on revient sur l’enjeu du décloisonnement public-privé en matière de recherche, une partie du problème c’est ce millefeuille. Les acteurs de la R&D n’arrivent pas à s’y retrouver, notamment dans le secteur de la santé. »
Sauf que le texte actuel n’évoque pas de stratégie de recherche…
C’est ce qui m’amène à dire que cela manque d’envergure, c’est très différent de ce qui se ferait pour une loi de programmation militaire, où l’on dit ce qu’on met dans telle ou telle priorité. Or on ne voit pas ce niveau de détail.
Le rôle du ministère c’est d’être stratège en la matière. C’est aussi le rôle d’instances, comme le Haut conseil pour la science, supprimé en 2013. Cela fait théoriquement partie des objectifs de l’académie des sciences…
Un amendement a été adopté en commission des finances pour donner une partie de ce rôle au nouveau Commissariat au Plan…
Francis Chouat pense que c’est au Plan que cela peut se faire, mais j’ai des doutes. Il faudrait que le ou la ministre puisse coordonner ce type de réflexion, en lien étroit avec Matignon. Ce n’est pas ce qui se profile.
Vous évoquiez la sensibilisation des parlementaires comme une vertu d’une loi de programmation. Vos collègues se mobilisent-ils sur ce texte ?
Absolument pas, il ne suscite pas l’engouement.
La CPU s’inquiète aussi du passage concernant les unités de recherche et des modalités de répartition du préciput entre tutelles ?
La CPU n’a pas tort d’être un peu inquiète là-dessus. On sent une réticence à laisser la main aux universités. Ce serait faux de dire que la CPU n’a pas pu influencer le texte qu’on a sous les yeux, mais elle est restée faible.
Sur le préciput, on va pouvoir en débattre, mais ce n’est pas de niveau législatif, c’est du réglementaire et c’est très frustrant.
Pensez-vous pouvoir voter pour ce texte à l’issue de son examen ?
Non. Tout ne se réduit pas à la question des moyens, il y a la question des objectifs à se poser. Et je reste sur ma faim. Au moment où on se parle, je ne vois pas comment cela pourrait être un vote positif. Par contre en fonction des débats et des réponses apportées, nous pourrons nous abstenir ou voter contre.